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L’ÉNIGME DE SAINTE-HÉLÈNE

L’histoire de la captivité de l’Empereur à Sainte-Hélène est restée jusqu’à ces dernières années mystérieuse et obscure. Si l’on avait, sur le dire de Las Cases, pris quelque idée de la vie extérieure ; si l’on avait retenu quelques lambeaux de conversation assez peu sûres ; si, d’après les papiers de sir Hudson Lowe publiés par Forsyth, l’on s’était formé une opinion sur la lutte établie entre le prisonnier et son geôlier, nul n’avait pris garde de rapprocher les documens déjà publiés par sir Walter Scott, de ceux qui se trouvaient dispersés dans diverses publications françaises, anglaises, russes et autrichiennes et d’établir comment et pour quelles causes les espérances qu’avaient conçues l’Empereur et les membres de la Famille sur l’amélioration de son sort avaient été brusquement dissipées. À présent la chose est faite[1], mais il est une autre énigme qui s’est posée à ceux qui ont étudié cette histoire et qui jusqu’ici n’a point été résolue ! Comment admettre que l’homme prodigieux qui a, de son temps et bien des années après sa mort, suscité des dévouemens incomparables et fondé presque une religion, ait failli mourir abandonné sur le rocher où l’Europe l’avait déporté ; qu’il n’ait trouvé comme aumônier qu’une sorte de pâtre corse, comme médecin qu’un prosecteur d’école secondaire, et qu’il ait ainsi terminé sa vie, la plus glorieuse qu’un homme ait vécue, dans un dénuement moral qu’égalait presque le dénuement physique.

  1. J’ai commencé cette démonstration par une conférence faite le 27 mars 1908, à la Société des Conférences, sous le titre : « les Missionnaires de Sainte-Hélène, » et, à la suite d’incidens qu’il est inutile de rappeler, j’en ai publié la documentation entière dans le volume intitulé Autour de Sainte-Hélène. Première série. Je l’ai reprise et coordonnée dans le volume intitule : Napoléon à Sainte-Hélène, paru en 1912.