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une révolution, il y eut une minute où l’avenir eût pu être fixé : c’est quand le Tsar eut fait connaître qu’il désignait comme son héritier et successeur non son fils, mais son frère, le grand-duc Michel. L’Empereur désigné, rompant avec l’antique autocratie, eût pu, lui, pour un temps, accepter la couronne des mains de Nicolas II, former avec le ministère provisoire un pouvoir monarchique, mais constitutionnel, également provisoire, et réserver, dans le plus bref délai, la sanction ou l’investiture populaire, puisqu’il voulait tenir du peuple sa souveraineté. C’était alors 1830; la substitution de la branche cadette à la branche aînée : la révolution était arrêtée, et l’aventure limitée au plus près. Le grand-duc Michel ne s’est pas résolu, ou il n’a pas pu; lui-même peut-être s’est senti débordé. Et le fleuve coule, sans qu’on en aperçoive les rives. C’est 1848, par la candeur des sentimens et par la droiture des intentions. C’est 1789 par la générosité, la foi, l’élan, l’enthousiasme : on parle d’une Constituante et de la République. C’est 1792 par la flamme du patriotisme : on ramène le Tsar de Pskoff. Nous en sommes et nous souhaitons en demeurer là, dans nos souvenirs.

Mais une révolution est une révolution, jusqu’à ce qu’elle se rassoie en une organisation. Avant qu’une hiérarchie, ou, si le mot a vieilli, qu’un ordre se soit reconstitué, il serait téméraire de se montrer trop optimiste, surtout il serait naïf de s’imaginer que c’est une opération de quatre jours. En quatre jours, on ne fait point d’une autocratie une démocratie, ni d’un État oriental un État occidental. Il est vrai que la Révolution russe de mars 1917 n’est que la reproduction, trait pour trait, mais cette fois pleinement réussie, de la révolution russe de décembre 1905, et qu’entre les deux, la reprise n’avait pas cessé d’être préparée dans le plus petit détail. Il est vrai aussi qu’il y a la guerre. L’entrée de la Russie dans le système des États modernes, constitutionnels et représentatifs, est certainement un fait dont on ne doit pas méconnaître la valeur; il enlève à l’hypocrisie de la social-démocratie allemande le plus perfide et le plus spécieux de ses argumens : il range, sans contestation sur ses titres, la nation russe parmi les défenseurs autorisés de la liberté et du droit. Mais, justement parce qu’il y a la guerre, nous mesurerons la force bienfaisante de la révolution de Pétrograd à l’augmentation de force militaire que l’Entente en retirera, et en intensité d’effort, et en durée. Les gouvernemens alliés, le nôtre, un des premiers, et le gouvernement britannique, se sont empressés d’adresser au gouvernement provisoire, présidé par le prince Lvoff, leurs vœux et leurs