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gouvernement de la République française, par une protestation solennelle, qu’il vient de renouveler, dénonça à la conscience de l’univers civilisé des faits du même genre, et de la même qualité, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Et, depuis un an, nous écoutons. Nous attendons que s’élève la voix qui peut parler aux peuples de leurs devoirs, juger les nations suivant leurs œuvres, et appeler les rois au tribunal de la divinité.

Les Allemands reculent à la mode des Huns, mais ils reculent, voilà le fait; le reste est une explication, une série d’explications confuses, compliquées, contradictoires. « Notre repli est élastique,  » écrivent à qui mieux mieux les journaux allemands, à qui il faut rendre cet hommage qu’ils ont commencé à l’écrire, l’été dernier, dès le début de la bataille de la Somme. « Notre Hindenburg sait ce qu’il fait, appuient les critiques militaires, et s’il est seul à le savoir, si personne ne le comprend ou ne le devine, c’est précisément la marque du génie, dont les conceptions sont inaccessibles à la simple intelligence. » Nous, du point de vue français, méfions-nous, mais ne faisons pas le jeu. Sans doute Hindenburg est un vieux routier qui a plus d’un tour dans son sac, mais le génie est un bien gros mot, même et peut-être surtout pour un si gros homme. Sans doute le maréchal a remporté dans les premiers mois de la guerre la victoire de Tannenberg, qui a d’un coup décidé de sa fortune. Mais il a été moins heureux en Pologne ou en Galicie ; et quant à la campagne de Roumanie, si c’est lui qui en adressé le plan, c’est Mackensen et Falkenhayn qui l’ont exécuté. Il y aurait de l’excès à prétendre qu’il soit incapable d’avoir deux idées, et que celle qu’il a toujours eue l’obsède ou l’épuisé : on sait pourtant que, spécialiste de la Prusse orientale et monomane des Lacs masuriques, il a les yeux constamment tournés de préférence vers la frontière russe. Notez de plus que son cerveau de junker et d’impérialiste doit, dans les circonstances présentes, travailler étrangement. Il a sous la main ses chemins de fer, ses bons chemins de fer aux dix lignes transversales Est-Ouest, dont il se flatte avec raison de jouer en maître. Logiquement, on serait fondé à chercher là-dessous le secret de ses desseins. Raccourcir autant qu’il le faudra le front occidental, pour y ramasser de quoi constituer une masse de manœuvre, une quinzaine de divisions, de Soissons à Arras, une vingtaine, si l’on coupe aussi la fameuse hernie de Saint-Mihiel, qui seraient ensuite transportées dans le secteur Nord du front oriental et reprendraient sous une étoile qu’on suppose meilleure, à la faveur d’événemens que les augures déclarent