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pas le savant, il le garde plus jalousement encore pour améliorer sans cesse cette solution, car il sait qu’à un petit perfectionnement scientifique correspondront de vastes répercussions dans son industrie, et qu’il fait, en somme, un bon placement.

Il y a là des leçons qu’il nous faut méditer sévèrement, et nous devons regarder en face le problème de la collaboration future de la science et de l’industrie, qui va se poser bientôt dans la France victorieuse réorganisée. Un des membres les plus éminens de notre Académie des Sciences, un de ceux dont la Tour d’Ivoire enfonce par les plus solides fondemens dans l’humus des réalités, M. Henry Le Chatelier, a fait entendre naguère là-dessus de fortes vérités dont on nous saura gré de glaner ici quelques-unes.

Chez nous, la science et les savans ne sont pas appréciés comme ils le sont à l’étranger, ou du moins dans les plus avancés des pays étrangers… Si le grand public croit un peu à la science, il n’en est généralement pas de même des pouvoirs publics, ni des chefs d’industrie. Jamais les hommes de science ne sont consultés sur les mesures d’intérêt public, même les plus étroitement liées à la science, comme les questions d’organisation de l’enseignement. Dans l’industrie, il en est généralement de même. Dans l’armée même, — j’en sais quelque chose, — beaucoup ont considéré comme anormal et presque scandaleux que certains problèmes militaires d’ordre exclusivement scientifique fussent abordés et, — scandale encore plus grand ! — résolus par des hommes de science.

En Angleterre, en Allemagne, en Amérique, les grands industriels sont très fiers de venir présider les réunions des grandes sociétés savantes. Ils manifestent souvent leur amour de la science par des fondations magnifiques (Institut Carnegie, Institut Solvay, prix Nobel, dont il y a plusieurs pour les sciences et un seul pour la littérature, fondations diverses des Sociétés d’Ingénieurs Allemands, fondation Guillaume II). En dehors de ces établissemens de haute culture scientifique et de recherche pure qui n’ont d’analogue en France que notre admirable Institut Pasteur, les grands groupemens industriels créent, beaucoup plus abondamment dans ces pays que chez nous, des laboratoires collectifs qui servent d’instrumens au perfectionnement des méthodes industrielles. Il en est aussi de beaux exemples chez nous, comme la station expérimentale à Liévin, du Comité des Houillères, mais ils sont sporadiques et trop rares.

Enfin, et si nous descendons d’un degré de plus dans l’échelle de la spécialisation, nous voyons qu’à l’encontre de l’Allemagne, un trop