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vaniteux, le met aux Jésuites de Vannes. Or, « les collèges sont des univers en petit » Qu’est-ce à dire ? « Ils renferment, réduits à leur expression d’enfance, les mêmes dominations, les mêmes écrasemens que les sociétés les plus despotiquement organisées ; une injustice pareille, une semblable lâcheté président aux choix des idoles qu’ils élèvent et des martyrs qu’ils torturent. » Si vous avez été au collège, autrefois, et feignez de n’y avoir été ni bourreau ni martyr : hypocrisie et mensonge. Au collège, il y a, comme dans toutes les sociétés humaines, des bourreaux et des martyrs : voilà ce qu’il y au collège ; Et dans les collèges des Jésuites, donc ! Et chez les Jésuites de Vannes, où Mirbeau a choisi de placer l’infortuné Sébastien Roch et de l’y installer martyr ! Ses camarades sont de jeunes hobereaux cruels et bêtes. Le père de l’un d’eux, un nobliau qui cache dans son château de Kerral des instincts de loup, a six chiens courans pour forcer les lièvres et les renards. Un jour qu’il n’a pas vu de gibier, il rage, il grogne. Pas de renards, pas de lièvres ? Il découple ses chiens et lus lance, ma foi, sur un clerc d’huissier : « Ouaou ! ouaou ! Tu comprends… » C’est le doux enfant du nobliau qui raconte… « si le clerc d’huissier détale, sentant les chiens à ses trousses. Il saute dans la lande. Il s’empêtre parmi les ajoncs et les ronces, son pantalon se déchire ; il roule, revient sur la route, la figure en sang. Les chiens le menaient comme un lièvre. Tête nue, les cheveux au vent, et les chiens tout près, lui mordant déjà les culottes… Il entre dans l’église, n’a que le temps de refermer la porte sur lui ; et il tombe, évanoui de peur, sur les dalles. Une seconde de plus, il était pris et dévoré par les chiens. Ils ne badinent pas, tu sais, ces chiens-là ! » Après cela, le clerc d’huissier tombe malade et reste fou. Voilà les nobles ; et, pareils à eux, leurs fils ! Les petits bourgeois ? Tandis que Jean de Kerral raconte cette chasse à courre, Bolorec, fils d’un médecin, « l’œil allumé d’un rire, » trépigne de joie et crie de toutes ses forces : « Ouaou ! ouaou ! » Il aboie. Et les Jésuites ? Il y a le jésuite imbécile, et. fourbe néanmoins ; le jésuite implacable et que jamais aucune velléité de quelque bonté, de quelque pitié, ne dérange de sa manie austère ; il y a le jésuite qui serait sensible et juste, s’il n’était pas jésuite, mais qui sacrifie à l’intérêt de l’Ordre la générosité naturelle de son cœur et immole à une « politique ténébreuse » plus de victimes qu’on n’en peut compter ; et il y a le jésuite infâme, ignoble, qui, pour l’enfance, n’a pas la plus petite révérence et n’est que du vice, merveilleusement libidineux : Mirbeau refuse l’hypocrisie de ne pas nous montrer ce misérable dans l’exercice de sa luxure.