Son œuvre se déroule des virulentes facéties des Grimaces jusqu’à ce document dernier. L’on y trouve, mêlées constamment, la plaisanterie énorme des Grimaces et les illusions énormes que le testament révèle. Peu importerait, somme toute, si Mirbeau se fût contenté de céder à son imagination, qu’il avait puissante et hasardeuse, pour des contes en l’air et des récits de fantaisie exubérante. Ce n’est pas cela, du moins dans son projet ni dans sa suprême pensée. « Que nous ayons individuellement des faiblesses, de bas instincts de lucre, des tares honteuses, toute mon œuvre est là pour le dire, » écrit-il encore, au point de mourir. Ainsi, son œuvre est, à son avis, un témoignage ; elle est une preuve. Il a prétendu démontrer que la vie et les hommes sont tels qu’il les a peints. C’était sérieux ! Ce n’était pas seulement, comme on dit, de la littérature : c’était le procès de l’humanité, son jugement, et sans appel. Mirbeau se crut un réaliste et, selon l’usage des réalistes, n’hésita point sur l’authenticité de ses peintures. Mais il y avait, entre lui et la réalité, les fantômes, joyeux ou lugubres, de son imagination.
Réaliste, il admire le maître de l’école, Émile Zola : « Son œuvre fut décriée, injuriée, maudite, parce qu’elle était belle et nue, parce qu’au mensonge poétique et religieux elle opposait l’éclatante, saine, forte vérité de la vie, et les réalités fécondes, constructrices, de la science et de la raison. » C’est le langage de l’école ; et c’en est, un peu emmitouflée de grands mots, la doctrine. Avant l’école ou hors d’elle, mensonge, hypocrisie : dorénavant, l’incontestable vérité. Mirbeau exècre le mensonge et l’hypocrisie. Généreuse haine, et que d’autres n’ont pas : il était, jusque dans ses caprices les plus changeans, la sincérité perpétuelle. Mais pourquoi ne consentait-il pas à pratiquer cette vertu avec simplicité ? Ce n’est pas une vertu si terriblement difficile, et pour lui qui la possédait mieux que d’autres et aussi bien que personne. Alors, pourquoi se donne-t-il, à chaque instant, l’air de remporter une éclatante victoire, s’il écrit ce qu’il pense ? On dirait que le mensonge et l’hypocrisie l’entourent, l’assiègent : le mensonge et l’hypocrisie universels, conséquences de la pusillanimité universelle. Oui, les gens n’osent pas dire ce qu’ils voient même, ils ont peur de le voir. Ils ont peur et ils n’osent pas ? Mirbeau veille à ne redouter rien. Comme il avait identifié avec la poltronnerie une certaine indulgence à l’égard de la vie, à l’égard de la destinée et des hommes, avec la lâcheté une certaine hésitation devant les idées, qui pourtant ne sont pas toujours si évidentes, il a mis du courage et de l’intrépidité à ne douter aucunement de ses doctrines, à ne