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mélopée humiliée, où la honte et le regret du péché laissent tant de grandeur et de noblesse. Rien de plus émouvant, avec cela rien de plus classique. C’est du dedans plus que du dehors, de l’âme plus que des choses, que cette musique est l’interprète. L’appareil du supplice, le détail matériel de la meule, l’effort du prisonnier aveugle qui la pousse, tout cela n’est qu’indiqué. L’âme encore une fois est ici la plus forte., « Peccantem me quotidie. » Palestrina jadis, en un motet fameux, a fait chanter le pécheur endurci. Du vieux chef-d’œuvre et du nouveau, contraires par le sujet, dissemblables par la forme, mais voisins par l’expression pathétique, je ne sais trop lequel l’emporte et je n’oserais décider entre cette impénitence et cette contrition.

Il y a plus, et puisque, à l’heure terrible et glorieuse où nous sommes, nul ne peut échapper au désir, au besoin de tout rapporter à cette heure, aux pensées, aux douleurs, aux espoirs qu’elle suscite et qu’elle entretient en nous, il ne serait pas malaisé de trouver çà et là quelque rapport entre l’âme de la France, son âme présente, et l’Inspiration du grand musicien français. Auditeurs de Samson et Dalila, quand vient la scène « de la meule, » nul ne vous empêchera d’écouter, au théâtre du moins, une leçon ailleurs interdite, mais donnée ici avec quelle éloquence ! sur le repentir et l’expiation. Béni soit l’accord mystérieux, l’ « Union sacrée, » qui fait aujourd’hui chanter en notre musique toutes les voix de notre patrie ! Une œuvre moindre que Samson, Proserpine, contient aussi des pages plus que jamais capables de nous toucher. Nous l’écrivions ici même, il y a déjà deux années, le finale du second acte (une distribution d’aumônes par les religieuses et les pensionnaires d’un couvent) forme un tableau sonore qui pourrait s’appeler la Charité. La musique de Saint-Saëns ne se montra jamais plus souple, plus onduleuse, enveloppante avec plus de sollicitude et de sympathie. Sans hâte et sans relâche, sans bruit surtout, elle va, vient et revient ; empressée, attentive, elle circule pareille à la mélodie dont parle Dante. Quelquefois, par la courbe de son dessin et de son mouvement, on dirait que, vivante, humaine, elle s’incline vers la misère pour la soulager et la guérir. Ainsi, pensons-nous en relisant aujourd’hui ces pages, ainsi, depuis bientôt trois ans, dans nos hôpitaux de guerre, nous voyons des formes gracieuses qui sont