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spirituelles. M. Saint-Saëns, qui fait tout ce qu’il veut, n’aurait eu qu’à le vouloir pour changer cet opéra-comique en savoureuse opérette. Je ne saurais trop vous recommander, au premier acte, l’inauguration du buste d’un archonte. Dans le genre de la satire, de la caricature politique, pour bafouer, ou « conspuer » selon ses mérites tel ou tel de nos archontes modernes, la musique, musique d’orphéon ou de fanfare, ne saurait déployer plus de verve et d’ironie. Dans l’œuvre intime, familière du maître, n’oublions pas deux opuscules comiques : Gabriella di Vergy, plaisante imitation de certaine musique italienne, et l’album de croquis zoologiques intitulé le Carnaval des Animaux. Jusqu’en des sujets plus graves, M. Saint-Saëns ne craint pas de se divertir, de se moquer même : il a le goût des boutades et des saillies. Je sais, dans les Barbares, un duo d’amour que viennent interrompre, à la cantonade, des cris et des menaces de mort. L’épisode est le plus banal du monde. Un autre s’y serait laissé prendre et le répertoire compterait un « chœur de Barbares » de plus. En homme d’esprit, que fait M. Saint-Saëns ? Ne pouvant éviter la vulgarité, il l’exagère à plaisir, « il en remet, » et sur un rythme de quadrille il jette un refrain bambocheur. Autre trait d’humour et de verve gamine : à la fin du ballet d’Ascanio, devant le roi François Ier et sa Cour, après toute une série de danses exquises et qui font songer aux plus nobles pages de Rameau, voici que, sur un tempo de valse, la brusque échappée d’un piston en goguette semble mêler d’avance un coin de Montmartre aux parterres de Fontainebleau.

Sans paroles même, sans gestes et rien qu’en musique, le musicien a de l’esprit. Il en a dans le Septuor avec trompette ; il en a dans ses œuvres légères, qui sont légion, pour orchestre, pour piano, pour les deux à la fois. Telle pièce, telle phrase de lui se reconnaît tout de suite à la finesse, parfois, je l’avoue, à la sécheresse du trait, à la vivacité du tour, à la grâce imprévue et piquante d’une repartie sonore, d’une cadence, d’une harmonie ou d’une modulation. Tout à l’heure, il rappelait Racine. Si maintenant il fait songer à Voltaire, avouez que ce n’est pas là non plus une médiocre façon d’être classique et français.

Vous savez le mot d’un autre de nos classiques, et non des moindres. « Les sens seuls, » disait Nicolas Poussin, « ne doivent