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Septuor avec trompette et des concertos pour piano ! Comme il compose et comme il dispose aussi ! Comme il distingue ! Entendez par-là : comme il choisit ! Nul ne s’est mieux gardé de ce crime que Charles Maurras, le reprochant aux Germains, appelait un jour « le crime le plus naturellement haï de l’homme civilisé, à savoir le crime d’excès, et d’excès sans variété, du monotone excès, prolongé, comme en vertu d’une mathématique butorde, toujours et de plus en plus dans la même direction et dans le même sens. » On l’écrivait un jour de l’auteur des Barbares : « C’est à simplifier, à clarifier, que le maître vieillissant tend chaque jour davantage. De plus en plus il goûte surtout l’essence des choses ou leur fleur. Il sait tous les moyens, mais, loin de les prodiguer, il les épargne. Il allège la matière sonore et, pour ainsi dire, il la sublime, au lieu, comme tant d’autres, de l’accroître sans cesse et de la surcharger. »

Parlerons-nous de la clarté de son œuvre ? Elle éclate aux esprits comme aux oreilles. Pas une page, pas une phrase n’en est obscure. Si complexe et même raffinée ou « travaillée, » — j’accorde le mot, — que puisse être une telle musique, ce n’est pas d’un travail, encore moins d’un effort, qu’elle donne l’idée et la sensation, mais d’un jeu, d’un jeu supérieur et libre. Lucidus ordo, j’ai souvent pensé qu’on pourrait ainsi définir un art où l’ordre n’est égalé que par la lumière.

L’équilibre de cet art est parfait et constant. Tout y est partage, quand ce n’est pas antithèse, et dans les deux cas, tout y est harmonie et nombre. L’œuvre dramatique de Saint-Saëns et son œuvre de musique pure s’égalent et se balancent, et cela, jusqu’à lui, ne s’était rencontré, je crois, que chez le seul Mozart. Samson et Dalila, le premier acte surtout, se divise, pour ainsi parler, entre l’esprit et les sens, entre l’amour sacré et l’amour profane. Le musicien de la Lyre et la Harpe, en développant (avec quelle puissance et quelle ampleur ! ) l’opposition pagano-chrétienne qui fait tout le sujet du poème, en a fortifié la symétrie, ou le dualisme éminemment classique. Classique encore est l’orchestre de Saint-Saëns, par la répartition des élémens sonores, par l’observance fidèle d’une hiérarchie instrumentale où le quatuor à cordes, suivant la tradition classique toujours, continue d’occuper le premier rang. Equilibre également, équilibre classique, entre l’orchestre et la voix, avec une préférence déclarée, que d’aucuns traiteront de faiblesse,