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Saint-Saëns, — il sied de l’en remercier d’abord, — n’a rien sacrifié, rien soumis, de lui ni de nous, à personne. Ni les théories ni les pratiques de Wagner n’ont trouvé, dans M. Saint-Saëns, les unes un doctrinaire, les autres un servile imitateur. Musicien de la Bible, de l’histoire, de la haute poésie, le musicien de Samson et du Déluge, d’Etienne Marcel et de Henry VIII, de la Lyre et la Harpe, ne l’a pas été de la légende. En outre, s’il est juste d’appeler M. Saint-Saëns un maître, même au théâtre, de l’orchestre et de la symphonie, c’est apparemment que par l’un et par l’autre il ne se laisse pas faire la loi. Enfin, quant au leitmotiv, dogme et commandement suprême de la religion wagnérienne, il s’en faut que le musicien de France y ait aveuglément souscrit. Il nous écrivait encore : « Ne soyons pas ingrats pour le grand Richard. Bülow a dit que j’étais le seul qui eût su profiter de ses théories sans me laisser égarer par elles. Dans toutes mes œuvres théâtrales, j’ai usé largement du leitmotiv, non par caprice, mais par principe ; seulement, tandis que Wagner le met au premier plan, j’en fais le fond du tableau, laissant au premier plan la partie vocale, traitée vocalement, autant que le permet la vérité scénique. » On le voit, par rapport à l’église wagnérienne, il y a là beaucoup plus qu’une réserve, quelque chose comme un schisme ou une hérésie.

Sera-ce un Liszt, à défaut d’un Wagner, qu’on appellera le maître d’un Saint-Saëns ? Assurément, (il l’a déclaré le premier, et très haut), l’auteur de la Danse macabre et du Rouet d’Omphale, de Phaéton et de la Jeunesse d’Hercule, est redevable aux Poèmes symphoniques du maître hongrois de l’idée au moins, sinon du style des siens. Mais tout de même, longtemps avant Liszt et chez nous, dans l’œuvre pour piano d’un Rameau, dans l’œuvre, fort différente, d’un Lesueur, et plus encore d’un Berlioz, un Saint-Saëns a pu rencontrer, — avec quelle abondance ! — et reconnaître comme nôtre le genre de la musique à programme ou à sujet.

Enfin, au-dessus des Français, fût-ce les plus glorieux, il est certain, de son propre aveu, qu’un Saint-Saëns a tenu pour les maîtres des maîtres les grands Allemands, ceux du passé : les Bach et les Haydn, les Mozart et les Beethoven. Mais on peut également affirmer que s’il ressemble à ceux-là, c’est en ce qu’ils ont eu non pas de national, mais d’universel, en