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à oublier, c’est impossible… Le joug allemand pèse formidable. Quoi qu’on fasse, on est écrasé par lui, on sent l’ennemi chez soi, partout, on subit avec le même dégoût ses arrogances, ses platitudes, sa piètre mentalité ; on souffre quand il triomphe de ses victoires, quand il espionne, quand il fusille, quand il resserre de plus en plus étroitement la geôle. Le temps, au lieu d’alléger la peine, sert au contraire à l’appesantir de plus en plus. Pendant vingt-sept mois, sans relâche, j’ai ressenti une impression d’étau, un cercle de fer qui me serrait les tempes, un mal poignant qui m’étreignait le cœur.

Une jolie légende de notre terroir conte les aventures et les amours d’Uylenspiegel et de Nele. Uylenspiegel, c’est l’esprit de la Flandre ; Nele, le cœur de la Flandre. Malgré les traverses, les embûches, les obstacles qu’ils rencontrent tous deux, et les persécutions dont ils sont victimes, ils ne veulent point disparaître. Telle est encore aujourd’hui l’image de notre pays. Le cœur et l’esprit de la Belgique, et son âme tout entière, ne veulent point se laisser abattre par la domination étrangère.

Et les belles paroles de la fougueuse péroraison du discours que notre compatriote Jules Destrée prononça au Trocadéro le 20 novembre 1916, à l’émouvante cérémonie organisée pour l’anniversaire de notre Roi, me reviennent à la mémoire : « Car nous rentrerons, frères d’exil, n’en doutez point ! Car nous les reverrons, nos villes pathétiques, nos doux villages. Nous irons saluer dans nos vieux cimetières nos chers morts qui nous attendent, qui nous attirent, qui nous appellent. Puis, nous-nous remettrons au travail, nous reverrons le blé dans les plaines de Flandre, nous entendrons encore le fracas des marteaux et le bruit des usines.

« Unis, nous referons la maison dévastée avec, du fond de nos cœurs jailli, un grand cri : Liberté ! »


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