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des travaux d’utilité publique, en réalité parce qu’ils voulaient l’employer pour le béton de leurs tranchées, les Belges ne cédèrent point. À ce sujet encore, en nous donnant le texte d’un arrêté allemand, publié à Gand le 12 octobre 1915, le commandant de Gerlache de Gomery, auteur d’un ouvrage des plus documentés et des plus intéressans sur La Belgique et les Belges pendant la Guerre, n’ajoutait-il pas : « Voilà bel et bien le travail forcé, le servage, pis que cela : c’est par un infâme chantage, et au mépris de toutes les conventions internationales, la trahison rendue obligatoire. Nous sommes parvenus au faîte de l’illégalité. »


LES DÉPORTATIONS CIVILES

Mais pouvions-nous concevoir alors qu’un jour viendrait, comme il est advenu en octobre 1916, où ces menaces s’exécuteraient et serviraient de base à des milliers de déportations, exécutées comme de véritables rafles, comme des razzias de peuples sauvages ! Voilà littéralement l’esclavage, tel que notre pensée ne pouvait plus l’admettre à notre époque, le travail forcé dans les pires des conditions.

Le grand maître dessinateur, Louis Raemaeckers, ne vient-il pas de nous en donner une image saisissante dans l’une de ses plus récentes compositions ? Ils sont là, ces malheureux déportés, ces vieillards, accablés de fatigue et de souci, peinant comme des forçats dans les formidables ateliers des fabriques de munitions allemandes. Et l’ouvrier belge songe douloureusement : « Cet obus va peut-être tuer mon fils ! »


La voilà, telle que je l’ai quittée il y a quelques semaines à peine, ma pauvre patrie meurtrie. J’ignore si je vous ai fait sentir suffisamment l’impression d’angoisse qui étreint tous les cœurs. On cherche à lutter vaillamment. On nourrit, envers et contre tout, par des prodiges de volonté, les espoirs tenaces et l’optimisme réconfortant. On se raidit contre l’adversité. Mais, si résolu qu’on puisse être, au fond de soi, on souffre bien cruellement. L’atmosphère est lourde, lourde. Elle est irrespirable. On étouffe. Vainement on cherche à se terrer chez soi,