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Allemands avaient violé notre territoire. On eût voulu manifester de la même manière, mais l’autorité opposa son veto. On se contenta donc de contenir en soi tout le chagrin de cet anniversaire. On vendait discrètement de petits emblèmes : emblèmes de deuil, nœuds de crêpe et breloques en forme de cœur d’émail noir portant la date commémorative (4 août). Des ordres stricts avaient été donnés : tous les habitans devaient être rentrés chez eux à sept heures du soir. Plus de circulation autorisée dans les rues, exception faite naturellement pour Messieurs les Allemands. Ce fut à ce moment que les choses changèrent d’aspect ! Comme il faisait merveilleusement beau, tout le monde s’installa aux balcons des maisons ou aux fenêtres ouvertes. On s’interpellait d’un trottoir à l’autre ! Dans toutes les maisons on avait fait honneur au phonographe qui, si longtemps silencieux, se plaisait maintenant à jouer Brabançonne, Marseillaise' et God save the King. Dans les quartiers populeux, les manifestations devinrent bruyantes : on criait, on chantait, on avait lâché des chiens et des chats dans les rues, et les gamins leur avaient même parfois attaché une casserole à la queue. Un officier allemand, qui rentrait à son domicile vers dix heures du soir, fut si impressionné par tout ce vacarme qu’il se mit à marcher prudemment au milieu de la chaussée, regardant avec méfiance, à droite et à gauche, puis, par surcroît de prudence, il sortit son revolver de sa poche et le tint braqué devant lui… Alors, de toutes les fenêtres, des tonnerres d’applaudissemens et d’acclamations ironiques accueillirent son passage. Le lendemain, deux rues du bas de la ville étaient condamnées par voie d’affiche à une punition sévère pour avoir trop manifesté.

Les journées du 21 juillet et du 4 août 1916 ont ressuscité celles que nous avions connues en 1915. Cette fois, le cardinal Mercier voulut officier en personne en notre belle cathédrale de Sainte-Gudule pour célébrer notre jour de fête nationale. Ce fut une ovation. La foule qui lui faisait cortège, chantait la Brabançonne et Vers l’Avenir, et l’on était emporté par le plus vibrant patriotisme. Il avait été formellement interdit de fermer les boutiques et de faire étalage de couleurs belges ! Une idée germa cependant et se répandit comme par enchantement : le vert, symbole de l’espérance, serait la couleur du jour. Chacun achetait du ruban vert. On en faisait de petites cocardes. On en