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supprimer la version anglaise). On ne pouvait le feuilleter sans indignation. Parmi nos troupes, on ne voyait que prisonniers et fuyards : chez eux, ce n’était que déploiement de forces et scènes idylliques ! Ne pouvait-on pas admirer, en Pologne russe, le tableau touchant des soldats teutons offrant aux petits enfans des campagnes, assis sur leurs genoux, une part de leur soupe ? Ne les voyait-on pas aussi causer et danser avec les femmes du pays occupé ? Mais nous, qui savions par expérience que ces clichés étaient truqués et qui connaissions les procédés employés à cet effet, nous nous contentions de tourner la page en haussant les épaules !

Parmi les vexations qu’ils nous firent subir, nos despotes nous imposèrent l’heure allemande. Nous ne l’adoptâmes jamais. Je dois dire cependant qu’on fut obligé de s’y conformer dans certaines villes de province où la police et les officiers allemands contrôlaient l’heure de la montre du premier passant venu et lui infligeaient une forte amende s’il n’était pas en règle avec l’ordonnance. A Bruxelles, les horloges publiques devaient l’indiquer. Cette mesure inspira une petite chanson où il était dit qu’en avançant l’heure, l’ennemi ne parviendrait qu’à hâter d’une heure le moment de notre victoire !

La défense d’arborer nos couleurs nationales nous atteignit en plein cœur. Puisque nous ne pouvions plus les déployer publiquement, il n’était cependant pas interdit de les exposer chez soi ! Un grand drapeau y figurait à la place d’honneur et nos trois couleurs s’étalaient sous le portrait de notre Roi ou de l’un de nos héros. On imagina aussi de petits nœuds tricolores pour les mettre au corsage. Dès le début de la guerre, nous avions pris l’habitude de porter des insignes. N’avait-on pas vendu des médaillons à l’effigie du général Léman, puis à celle de M. Max, et surtout les portraits du Roi, de la Reine, des jeunes princes ? Puis, toutes les couleurs alliées. Enfin, une foule de médailles commémoratives.

Alors, beaucoup de personnes décidèrent de glisser à leur boutonnière une simple feuille de lierre. La feuille de lierre, symbole de fidélité au pays et au Roi ! elle fait une apparition soudaine, elle triomphe partout : spectacle vraiment curieux par la rapidité de l’exécution ! D’autres personnes font choix d’un petit bijou de couleur grise : c’est le lion de nos armoiries