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— Vous vous battez pour de l’argent.

— Et vous, lui répond l’officier anglais, pourquoi vous battez-vous donc ?

— Nous autres, c’est pour l’honneur !

— Ah ! c’est bien ce que je pensais, reprend l’Anglais : on se bat toujours pour ce qu’on n’a pas ! »

La crainte du service militaire obligatoire en Angleterre les hantait : aussi affichaient-ils que, si le principe de la conscription était adopté, beaucoup de jeunes gens chercheraient en Amérique « le dernier refuge de la liberté. »

Telles étaient les insinuations que nous avions continuellement à subir. On nous annonçait un jour une insurrection en Tripolitaine, un autre jour des mouvemens séditieux aux Indes, des troubles au Maroc ou dans l’Afrique Australe, le ralliement par les Turcs de troupes kurdes en Perse, une révolte en Égypte, la propagande anti-anglaise de James Larkins aux Etats-Unis, etc. L’objet de toutes ces proclamations était de nous persuader que la puissance allemande était invincible, de nous amener à nous résigner à notre sort, à nous faire perdre tout espoir de revanche et de réparation… Or, tous ceux qui ont vécu en Belgique occupée peuvent certifier que, quelles que soient les difficultés de l’heure présente, les Belges n’ont jamais plié et que, dans toutes les classes de la société, ils ont manifesté une admirable énergie.

Tous les journaux, — ces petites feuilles prétendues belges, — étaient remplis des mêmes nouvelles tendancieuses ; censurées par l’autorité allemande, elles devaient viser au même but. On vendait aussi des journaux allemands. Dans le quartier des gares et de la grande Poste, la ville avait pris une allure spéciale : on y voyait de nombreuses « aubettes[1] » bien aménagées ainsi qu’une série tic baraques ; à leurs étalages rien que des livres, des brochures et des journaux allemands ; leurs enseignes, en gros caractères gothiques, n’étaient, hélas ! que trop visibles, comme celles des tavernes allemandes, des magasins d’équipement militaire, et de tant d’autres !

Je me souviens aussi d’un journal illustré à un sou, le Kriegskurrier, qui contenait plus de vingt pages illustrées et un texte explicatif en quatre langues (on ne tarda cependant pas à

  1. Aubette se dit pour kiosque.