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propriétaires de plusieurs immeubles, dont le loyer ne pouvait plus être payé par suite du manque d’argent ou de l’absence des locataires, se voyaient dans la misère à leur tour, et étaient forcés de s’adresser à l’Assistance publique ou de faire la queue, la cruche à la main, à la soupe communale. Une dame d’allures très distinguées vendait des journaux au coin d’une de nos places publiques les plus fréquentées ; elle se tenait, un peu à l’écart, dans l’ombre des maisons, en chapeau et en costume tailleur… Que de misères cherchant à se cacher le plus dignement possible !

On m’affirme que, depuis mon départ récent de Belgique, la situation aurait encore empiré, que les Allemands auraient créé ce qu’ils appellent des « centrales, » qu’ils auraient réquisitionné certaines marchandises et qu’ils les vendent eux-mêmes : c’est ainsi qu’ils revendraient à 3 et 4 francs la livre de sucre, qu’ils auraient payée 0 fr. 85.


Le manque de petite monnaie s’était fait vivement sentir. La Banque Nationale créa, dès qu’elle en vit la nécessité, de petites coupures de 5 francs d’abord, puis de 1 franc et de 2 francs. D’ailleurs notre monnaie d’or et d’argent ayant totalement disparu, celle de nickel s’étant beaucoup raréfiée, on fit usage de toute espèce de monnaie : pièces trouées congolaises, pfennigs et marks imposés, nouvelles frappes de monnaies de cuivre et de zinc ; le plus typique fut l’emploi, en province du moins, et j’en ai eu plusieurs exemplaires entre les mains, de billets de banque valables uniquement dans les villes où ils furent émis ; ils représentaient une valeur de dix, quinze, vingt centimes ; on cite même une petite commune belge de la province de Limbourg, Bilsen, où circulaient des billets de deux centimes.


Malgré la cherté de la vie et toutes les difficultés financières, la charité prit un admirable développement. Chacun avait à cœur de consacrer une partie de ce qu’il possédait à de plus pauvres que soi. Que d’œuvres multiples ont surgi durant ces deux années d’infortune !