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LA VIE MATÉRIELLE — LES VIVRES

Dès les premiers jours, la farine fut retirée de la circulation et les boulangers rationnés : chaque client eut droit à 250 grammes par jour, quelques mois plus tard, à 300 grammes.

On confectionnait à notre usage un pain gris, lourd et indigeste. Une foule de produits nouveaux, que nous ne connaissions même pas, firent irruption sur le marché : des soufflures de riz, de la remilyna, de la céréaline, enfin une série d’imitations de farine, puisque la véritable farine, réservée aux seuls boulangers, était introuvable dans le commerce. Plus les vivres devenaient chers, plus nous redoublions d’ingéniosité. C’était à qui enseignerait la meilleure recette : gâteaux de guerre, mayonnaise sans huile, petits plats économiques, etc.

Voici un aperçu de quelques prix actuels comparés à ce qu’ils étaient au début de la guerre. La viande de bœuf, qui valait de 3 francs à 3 fr. 50 le kilo, — tout au plus, — se vend 12 à 15 francs, le mouton de 11 à 14, le porc de 10 à 13, et ce sont les prix des Halles ! Le café, de qualité très ordinaire, qui valait de 2 fr. 50 à 3 francs, se paie 20 francs le kilo ; 18 francs les déchets de café, le riz plus de 5 francs. L’huile d’olive est une rareté, et on la paie jusqu’à 18 francs le litre, au lieu de 3 ou 4 francs. Le beurre a atteint des prix fous : on en exige au moins 14 francs le kilo et, contrairement à ce qui se passe en d’autres pays, la graisse a suivi à peu de chose près le cours du beurre, si bien qu’elle est devenue, elle aussi, un véritable produit de luxe ! Enfin, les pommes de terre, cotées î) à 10 francs, valent aujourd’hui 85 francs les 100 kilos. Le sucre et le savon sont pour ainsi dire introuvables. Il en est de même pour le pétrole. Il y a quelques semaines, il fallait payer 5 et 6 francs et même davantage pour le kilo de savon noir : nous avions coutume de le payer 0 fr. 45.

Quant aux familles éprouvées, on ne les compte pas en Belgique occupée ! Je connais, pour ma part, un industriel possesseur de deux usines, l’une à Roubaix en France, l’autre à Termonde en Belgique, toutes deux détruites par l’ennemi. Ayant sa famille à nourrir, et privé de ressources du jour au lendemain, il cherchait, auprès de ses anciennes relations, à placer des pommes de terre dont il fournissait les échantillons. Combien de rentiers,