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cure à Wiesbaden, on pouvait s’adresser à la Deutsche Bank et, si vous vouliez vous rendre en Hollande ou en Suisse, il fallait dorénavant payer une caution de 5 000 à 10 000 marks, garantissant qu’il ne vous prendrait pas envie de passer en Angleterre ou en France ; ces mêmes fonctionnaires vous obligeaient à signer une feuille de présence, tous les jours, chez le consul allemand de Berne ou de la Haye, d’Amsterdam ou de Genève, sous peine de la confiscation de la dite caution.

Pour vous donner un exemple de l’obstination allemande, je vous retracerai en quelques mots le véritable roman d’aventures que vécurent trois femmes en Belgique. L’intrigue dura près de trois mois. L’une était la femme d’un capitaine de notre armée, l’autre, sa vieille mère âgée de quatre-vingt-deux ans, la troisième sa fillette de treize ans. La jeune femme avait pris patience pendant un an, mais, maintenant, coûte que coûte, elle avait décidé de mettre fin à une séparation si pleine d’anxiété, et de rejoindre son mari. Pendant plus de deux mois, elle manœuvra pour obtenir des papiers en règle l’autorisant à quitter la Belgique. Ce fut en vain. Elle se décida alors à s’établir dans un petit village à proximité de la frontière, afin d’y trouver un guide et de risquer l’aventure. Etant donné que les femmes du peuple avaient, disait-on, plus de facilité à passer les routes et à obtenir l’indulgence d’une sentinelle, les trois femmes parcoururent le pays, nu-tête, un châle croisé sur les épaules, un panier d’œufs au bras. Finalement, elles trouvèrent le moyen d’organiser, avec quelques jeunes gens, une véritable expédition. Deux guides les accompagnaient. Ils attendirent l’heure propice. Alors, l’un des guides traversa le canal à la nage ; — le canal, à cet endroit, forme la frontière entre la Hollande et la Belgique ; — il tendit une longue corde, son compagnon la maintint, et les trois femmes, la vieille grand’mère soutenue par l’un des jeunes gens, firent la pénible traversée en s’accrochant à la corde tendue, avec de l’eau jusqu’au cou. Quand on lui demanda comment elle avait eu la force physique d’aller jusqu’au bout de cette équipée, la bonne vieille répondit simplement : « Je savais que si je criais ou si je m’arrêtais, ma fille et ma petite-fille pouvaient être perdues, et j’ai trouvé les forces nécessaires… »