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LES ÉVASIONS

L’autorité allemande s’efforce, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, de retenir les jeunes gens qui atteignent l’âge de porter les armes et qui brûlent du désir d’aller retrouver au front leurs aînés. Le général von Bissing a édicté les règlemens les plus sévères à leur sujet ; les lignes de fil de fer barbelé qui courent le long de la frontière belgo-hollandaise ont été doublées, triplées même en certains endroits, et bientôt chargées d’un courant électrique ; les patrouilles sont de plus en plus nombreuses ; ordre est donné de tirer impitoyablement sur eux, s’ils ne répondent pas à la première injonction.

Il en est cependant passé des milliers ! J’en connais, hélas ! qui ont été faits prisonniers et envoyés sur-le-champ en Allemagne. Et que de sinistres drames ! Deux jeunes Belges, les deux fils aînés d’une de mes amies d’enfance, âgés respectivement de dix-sept et de dix-huit ans, décident d’affronter le péril ; ils s’informent en secret des voies généralement suivies ; ils ourdissent leur plan d’évasion… Car il n’y a pas d’autre mot qui serve : la Belgique est une vaste prison prussienne d’où il faut s’évader. Ils sont sur le point de réussir. La barque qui les transporte, eux et leurs camarades, va bientôt atteindre l’autre berge du canal… Une sentinelle allemande les aperçoit : elle lire. L’un des frères, blessé, tombe à l’eau. Le guide donne ordre de se coucher aplat dans la petite embarcation afin d’éviter les coups de feu. Mais l’aîné, d’un mouvement instinctif, cherche à sauver son frère. Il est atteint à son tour. L’un fusillé, l’autre noyé ! Pendant trois mois on n’osa prévenir la mère.

Mais ne croyez pas qu’il n’y eût lieu de parler d’évasion que lorsqu’il s’agissait de rejoindre ce que von Bissing, — dans sa proclamation à la population belge, — appelle « l’armée ennemie ! » Combien de médecins, d’industriels, de parens désireux de revoir leurs enfans ont dû courir les mêmes risques ! Les femmes elles-mêmes ont, dû s’y exposer. Dans les premiers temps, elles réussissaient parfois à obtenir un passeport, en prétextant le besoin d’une cure, la nécessité absolue de toucher quelque argent en Hollande, le désir d’embrasser un parent mourant. Mais tous ces moyens furent vite usés ! Les fonctionnaires allemands avaient réponse à tout : on pouvait faire une