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merveilleuse, elle rapporte à chacun des nouvelles personnelles. Elle a vu nos officiers, elle a vu nos soldats, et elle possède des détails sur tous nos régimens. « Ne craignez-vous donc pas, lui demandai-je à la veille de son dernier voyage, les fils barbelés et les coups de fusil des sentinelles allemandes postées à la frontière ? — Bah ! me répondit-elle, je ne cours pas plus de risques qu’un soldat ! Et si j’attrape un peu de plomb dans les mollets en franchissant la barrière, je ne m’en porterai pas plus mal ! » Je me souviens aussi d’un petit courrier délicat, d’un petit blond, qui paraissait d’une timidité excessive : et je sais que les lettres que je lui confiai parvinrent toutes à destination.

Encore un frêle jeune homme. Il n’avait pas été accepté pour le service militaire, et il voulait à tout prix se rendre utile d’une autre façon. Il cherchait à porter des lettres, surtout aux soldats, et ne voulait accepter aucune rétribution. Il usait d’adresse pour échappera l’ennemi. Il entre dans une masure, il avise une bonne vieille : « Ne vous-effrayez pas, la vieille, et laissez-moi vous appeler grand’mère ! » Il accroche dans un coin son veston chargé de lettres et se met à l’ouvrage. Les Allemands entrent, exigent du café, et il les sert avec l’aide de la vieille « grand’mère. » Quelques centaines de mètres plus loin, il fait la rencontre d’une nouvelle patrouille allemande, il accoste rapidement une femme sur la route, lui prend l’enfant qu’elle portait dans ses bras, et cache son paquet de lettres au fond d’un panier de pommes… A Melle, surpris par la bataille, il attend sous les balles le moment propice où les soldats pourront lui confier leurs messages. Par malheur, il devait être fait prisonnier quelques jours plus tard, et j’appris qu’il ne tarda pas à mourir en Allemagne.

Toutefois, le plus souvent, ces courriers étaient des contrebandiers, des braconniers, des risque-tout, des hommes qui ont cela dans le sang et qui respirent à pleins poumons le souffle d’indépendance dont nos pères gaulois étaient si pénétrés ! Et je dois dire que, dans la plupart des cas, ils s’exposent à tous ces dangers bien plus avec la pensée de rendre service au pays que dans un esprit de lucre ! Ils savent qu’ils aident à la résistance, qu’ils apportent les nouvelles de l’extérieur, qu’ils fortifient le moral des nôtres, et n’est-ce pas là, surtout quand ils guident par les sentiers détournés nos jeunes gens qui cherchent à rejoindre l’armée, une belle œuvre de patriotisme ?