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transport des lettres destinées à l’Allemagne. Mais elle déclarait que, les facteurs belges refusant le travail, tous les envois devaient être retirés à la poste centrale moyennant une carte d’identité. Ce n’était guère pratique ! Nous avions aussi un tel dégoût de ces timbres allemands, estampillés d’une infâme surcharge « Belgique, » que nous préférions ne pas en employer et porter nous-mêmes les messages pour la ville, quelle que fût la distance à parcourir… Quant au trafic, il était pour ainsi dire nul ; les tramways seuls roulaient, et encore, à un moment donné, lors du siège d’Anvers, leur parcours fut-il singulièrement raccourci ; les derniers autos avaient été réquisitionnés par les Allemands ; on ne voyait plus, de temps à autre, qu’une rare voiture de place, tirée par un vieux cheval poussif…

Au début, les autos militaires allemands passaient nombreux, à fond de train ; leurs cornets faisaient entendre un petit rythme joyeux et conquérant : la-la la-la ! Sur ce motif, les gamins de Bruxelles avaient imaginé d’adapter des paroles, toujours différentes, mais toujours insolentes. Par exemple, ils criaient à tue-tête :


Berlin-Paris
Ça n’a pas pris !
Paris-Berlin
Ça ira bien !


D’ailleurs, les facéties de nos gamins bruxellois, de nos « ketjes, » déridaient les plus pessimistes. Ne s’amusaient-ils pas à jouer à la guerre, à singer le kronprinz, à imiter le fameux « pas de parade » ou « pas de l’oie » de l’armée allemande ? Un officier prussien les aurait, paraît-il, admirés lorsqu’ils faisaient l’exercice : « Quels beaux soldats allemands vous feriez ! — Oh ! avait répondu le jeune chef de la bande, nous savons faire beaucoup mieux ! — Quoi donc ? — Voyez plutôt : Ein, zwei ! commanda l’enfant. Nach Paris !  » et toute la petite troupe de faire mouvement arrière !

Cette difficulté de correspondre régulièrement avec les nôtres devenait une souffrance intolérable. Bientôt des courriers de métier firent la navette. Moyennant un prix qui variait de deux à cinq francs, ils se chargeaient d’un message écrit sur papier léger et ils cherchaient à échapper aux patrouilles allemandes… Les prix, nécessairement, étaient bien plus élevés