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Ils n’ont pas fait le tour de la Ville, je veux dire qu’ils n’ont point passé dans les faubourgs. Ils n’ont pas vu, dans son atelier ou à l’usine, l’ouvrier de Paris ingénieux, endurant, grand abatteur de besogne, quand il poursuit l’ouvrage avec cette fièvre légère qui l’entraîne joyeusement. Ils n’ont pas pénétré jusqu’à cette petite bourgeoisie laborieuse où se conserve dans une vie étroite et régulière la bonne tenue des foyers. Ils ne savent pas non plus combien elle est studieuse, cette jeunesse remuante des écoles, ni avec quelle passion elle adopte l’enseignement du maître, ni avec quelle touchante ardeur elle embrasse des travaux qui dépassent ses forces.

Cette ville de luxe, c’est une cité toute pleine du bourdonnement d’un grand travail. Dès le Moyen Age sa Municipalité se compose de marchands, et ce sont tous ces beaux métiers dont Etienne Boileau nous fait connaître le règlement sévère qui constituent son ossature sociale. Maintenant que cette population a grandi jusqu’à devenir comme un peuple au milieu de la France, les métiers se superposent, ils se multiplient, ils s’étendent à d’innombrables catégories de personnes et ce vaste labeur qui est l’unique affaire de la Ville lui donne aussi son vrai caractère. Ceux qui n’y prennent point part n’ont point part à son âme. Il a suffi que la guerre dispersât les oisifs et les étrangers pour que l’on vit aussitôt ressortir sa moralité profonde, entretenue à travers les siècles dans la tradition du travail.

L’homme qui travaille loyalement trouve une règle de vie dans l’exercice de son métier. L’objet qu’il forme dans ses mains ou qu’il soulève dans ses bras est pour l’ouvrier un maître sans indulgence qu’il ne fléchit que par l’effort et qui l’oblige à toute heure du jour d’être exigeant envers soi-même. Là il apprend à écarter la distraction qui perd l’ouvrage. Là, à force d’aimer ce qu’il fait, il s’engage dans le chemin de l’honneur professionnel, qui conduit à l’autre. Là enfin il purifie son cœur dans l’activité.

N’en doutons pas, c’est cette obligation quotidienne qui a présidé à la formation morale de l’ouvrier parisien, et quand la guerre ferme l’atelier, il reste l’homme, exercé au courage et prêt au sacrifice. C’est la sûreté de sa main qui a fait la sûreté de son cœur.

C’est une erreur de croire et d’aller répétant que le Parisien