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n’y trouvent plus leur gagne-pain continuent à vendre du pain, et si d’aventure elles font entendre leur voix, c’est qu’elles demandent, les courageuses femmes, que la France leur prête loyalement leur mari quand c’est leur tour.

Qui reconnaîtrait là ce Paris difficile à prendre, libre d’allures, impatient et frondeur ? Il accepte avec docilité les réglementations qui se succèdent et même se contredisent. L’autorité prend des ordonnances sur les hors-d’œuvre, elle dresse le menu des restaurans, à telle heure elle interdit l’entrée des magasins, à tel jour la porte des théâtres ; le soir, elle prive la ville de sa lumière, elle sonne comme au Moyen Age le couvre-feu. Le Parisien se prête avec gentillesse à toutes ces contraintes, et voilà qu’il économise même l’esprit.

C’est au point qu’on est pris d’une inquiétude, qu’on s’étonne de cette langueur et qu’on se demande si jamais Paris se réveillera d’un tel sommeil. Ne vous y trompez pas cependant, il respire doucement, comme un homme qui souffre. Parfois il ouvre les yeux et cherche un grand souffle d’air pur. Vous le retrouverez qui remplit ses yeux des rayons de la gloire le jeudi aux prises d’armes ou le dimanche autour des trophées dans la cour des Invalides. Vous le reconnaîtrez encore dans ces grandes assemblées qui se forment à la Sorbonne ou au Trocadéro, pour entendre des orateurs parler de la sainte grandeur de la patrie. C’est lui encore qui se presse derrière les cercueils des victimes de l’aéronef et visite à la Toussaint les tombes des soldats dans les cimetières suburbains.

Un jour même, un seul jour, son émotion déborde et son âme s’abandonne, c’est aux funérailles du général Galliéni. Le Gouverneur de Septembre, c’est l’ami intime du Parisien : un moment, il fut seul avec lui. L’expression sévère du chef a redressé tous les cœurs. Il n’est personne qui n’ait entendu le son de sa voix. Ce qu’il a dit était si bref que chacun a connu qu’il lui parlait. Ce qu’il a fait demeure si grand que chaque maison sauvée lui fait aujourd’hui l’offrande de son bonheur dans sa douleur. Une grande foule grave et silencieuse, telle qu’on n’en vit jamais s’assembler pour pleurer un seul homme, se presse, le souffle suspendu, sur le passage du long cortège, qui semble prendre la mesure de la capitale : toute la Ville est présente.

Ce témoignage rendu, Paris qui n’a plus rien à dire reprend