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270 000. Joignez-y ceux qui, en tout temps, sont à la charge de l’Assistance publique. Vous arrivez à un dénombrement redoutable, dans lequel cependant ne sont pas compris tous ceux que leur rang social ou leurs ressources écartent encore de l’Assistance, et dont néanmoins un fort grand nombre se trouve dans l’embarras. Il faudrait d’ailleurs se garder d’additionner les personnes inscrites à toutes ces catégories différentes, car il arrive qu’elles se confondent, et l’on doit noter également que la reprise du travail au cours de l’année 1915 réduisit fort sensiblement le nombre des chômeurs. Il n’en est pas moins vrai que, lorsque l’Assemblée municipale, en décembre 1916, totalise, en vue d’assurer des distributions, toutes les familles de situation précaire, elle inscrit le chiffre de 400 000 qu’il y a lieu de multiplier par 2, 3 ou 4 personnes.

On peut donc dire hardiment que la moitié de Paris subit la gêne la plus étroite.

Cependant pas un murmure ne s’élève, nul désordre ne se manifeste. Bien au contraire, la tranquillité publique est plus frappante qu’à aucune autre époque de l’histoire parisienne. La criminalité s’abaisse. Le corps des gardiens de la paix a pu sans inconvénient être diminué d’un quart de son effectif. Sans doute, une partie de la classe ouvrière s’est vu offrir des salaires élevés dans les usines de la Défense nationale. Mais bien loin qu’il le faille interpréter comme une circonstance favorable à la paix publique, la juxtaposition dans les quartiers pauvres de ceux-ci qui touchent de bonnes journées et de ceux-là qui reçoivent un secours d’indigent, est de nature à susciter des rancunes et des jalousies, car c’est l’inégalité qui fomente les troubles.

Peut-être sera-t-on tenté de dire que les hommes valides étant occupés à défendre la France, il n’en reste plu, s ici pour la troubler, et que tel est le secret d’une si exemplaire résignation. Quelle mauvaise pensée ! Quelle injure pour ces héroïques absens auxquels Paris doit son salut et sa gloire ! Imagine-t-on que la clameur des femmes serait moins dangereuse et moins émouvante ? Et qu’il s’agisse des femmes ou des hommes, l’attitude simple et fière d’une grande population souffrante qui supporte patriotiquement la dureté de la vie et qui accepte jour par jour son sacrifice, n’est-elle pas, à tout prendre, un fait majeur qui atteste l’incroyable endurance de Paris ?