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des premiers revers, l’approche des armées barbares et le frisson soudain de la victoire, demeure égale et maîtresse de ses nerfs, c’est l’indice de la force morale la plus haute et la plus noble. Cette sérénité n’étonne pas ceux qui sont avertis : le Parisien se doit toujours quelque chose à lui-même.

Mais voici que ce beau courage va subir un nouvel assaut : il lui faut désormais affronter l’épreuve du temps. Or, quelque bonne opinion qu’on eût des Parisiens, il est une vertu qu’on hésita toujours à leur prêter : la patience.

Trente-deux mois ont passé. La patience des Parisiens est inépuisable.

N’est-ce pas d’eux vraiment que Montesquieu semble avoir écrit : « Leur principale attention était d’examiner en quoi leur ennemi pouvait avoir de la supériorité sur eux ; et d’abord ils y mettaient bon ordre ? » Il n’est pas un Parisien qui ne soit convaincu que la nation allemande est obstinée, obéissante et dure au mal. Pour tenir en échec une haine si puissamment organisée, il n’est pas un Parisien qui ne mette secrètement son point d’honneur à tout supporter, et si des voix impies se font entendre pour réclamer prématurément la paix, ce n’est pas de Paris qu’elles s’élèvent et il ne les écoute.

On aurait tort de comparer les privations de 1870 aux épreuves du temps présent. Il y a quarante-sept ans, la crise fut aiguë et brève. Aujourd’hui, au contraire, le malaise se répartit sur une longue période ; une angoisse continue n’arrive pas à faire plier les âmes. Si l’on veut bien considérer ce qu’une souffrance qui se prolonge, supportée dans le département de la Seine par une agglomération de cinq millions d’habitans, comporte de périls politiques, on est frappé d’admiration devant cette volonté collective où le corps social tout entier porte à l’extrême et soutient sans faiblir des vertus qui semblaient jusqu’ici le fait d’une résolution individuelle.

Dès le début, la mobilisation et l’arrêt des industries jetèrent d’un seul coup des milliers de familles dans la misère la plus immédiate. Dans chacun de ces foyers où l’on vivait au jour le jour d’un modique salaire, ce fut brusquement la détresse. A la fin de 1914, on relève 230 000 personnes sans travail, 130 000 hommes et 100 000 femmes. Ajoutez à tous ces chômeurs, les familles où le soldat mobilisé a laissé les siens sans ressources appréciables : on en compte actuellement