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réfugiés, bourgeois, paysans, ouvriers qui viennent de faire 50 kilomètres en dehors des routes et ne peuvent plus se tenir sur leurs pieds sanglans, jeunes filles qui tombent épuisées, mères en pleurs qui ont perdu sur les routes leur petite famille. Ah ! les Prussiens peuvent bien bombarder Paris s’ils veulent : dès qu’il s’agit de venir en aide à la souffrance, la « populace » de Paris ne sait plus penser à autre chose, elle ne se possède plus.

Ces pauvres gens sont recueillis au Séminaire de Saint-Sulpice, à la Caserne de France, salle Wagram, au Cirque de Paris. Les sergens de ville font la quête pour venir à leur secours. Avec une spontanéité admirable, la population du Gros-Caillou veut pourvoir à tout. Les plus pauvres apportent leur pain, leur sucre, leur café, ils nettoient les malheureux, ils font la cuisine, ils bercent les enfans, et la bonté du peuple tire des larmes autant que la misère des fugitifs.

Bientôt les événemens se précipitent, on apprend que les Allemands occupent Sentis, des taube marqués sous les ailes d’une grande croix notre viennent planer dans le ciel de la capitale. C’en est fait. Le Gouvernement se transporte hors des atteintes de l’ennemi.

La population parisienne est désormais seule, livrée à la fortune des combats. Elle sent passer dans l’air l’haleine de la bête. Son sang-froid ne se dément pas à cette nouvelle épreuve ; du moins elle mesure désormais le risque elle-même. Lorsque son Gouverneur lui promet de la défendre jusqu’au bout, elle comprend clairement ce que ces mots contiennent, et bien loin qu’elle se laisse aller à son imagination, elle rassemble silencieusement toutes les forces de son cœur.

Il est un sentiment qui se fait jour chez les Parisiens à de certains tournans de leur histoire, quand la Ville est transportée d’une grande joie ou se trouve soulevée tout entière par une idée supérieure. Tous les cœurs alors se touchent, tous les esprits sont occupés de la même pensée, tous les visages portent la même expression. En ces jours de Septembre, les Parisiens qui regardaient sur les boulevards Saint-Michel et Sébastopol défiler les troupes marocaines ne formaient plus qu’une grande famille. La mise de chacun était simple. Les propos étaient affectueux. Des personnes qu’on ne connaissait pas vous arrêtaient familièrement dans la rue, pour échanger une ou deux paroles d’une inutilité cordiale. On parlait peu d’ailleurs en ce