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Dès le premier jour, la population parisienne s’établit dans sa résolution et fait preuve d’une sagesse aussi grande que les circonstances. Alors que se déroulent les événemens diplomatiques d’où la guerre va sortir, tandis que d’heure en heure se répandent les plus menaçantes informations, Paris demeure calme et s’abstient d’agiter des drapeaux. Ceux qui se plaisent aux spectacles parisiens n’ont retenu qu’un trait de ces momens d’angoisse : à certaines heures de la journée, on voyait les passans s’arrêter dans la rue pour lire la dernière édition d’un journal ; c’est, en effet, le signe de la plus vive émotion chez le Parisien, qui est d’un naturel hâtif et moins avide encore de nouvelles que jaloux de cacher son étonnement. En vain M. de Schœn se promène-t-il ostensiblement sur les trottoirs de la rue de Lille pour s’attirer des outrages. Quelques personnes regardent d’un air narquois et tranquille l’homme du jour. La finesse contient la colère, et la provocation de cet ambassadeur ne va en somme qu’à exciter chez le Parisien sa passion dominante, qui est à savoir la curiosité.

Tout à coup le bruit se répand dans la capitale que Jaurès vient d’être assassiné. Le temps est à l’orage. Une grande foule se presse et gronde rue Montmartre. Tous les visages traduisent la préoccupation ; tous les esprits sont tendus, et chacun redoute une révolution, que nul ne déchaîne. Un seul sentiment étreint tous les cœurs : la défense nationale va-t-elle être compromise par des dissensions civiles ? Mais qu’importe que tout le monde doute d’autrui, si personne ne doute de soi-même ? Il fut toujours naturel aux Parisiens de considérer les faits dans l’ordre de leur importance, et, quelque conseil que donne ici la douleur ou l’indignation, une pensée dominante conduit tous les esprits dans la même route : il s’agit d’abord de se défendre. Ceux dont on redoute le plus les écarts de langage sont ceux qui donnent le plus bel exemple, et, quatre jours plus tard, un cortège imposant traverse la ville et se dirige vers la gare d’Orsay sans que l’ordre soit troublé.

Où il s’avère dès la première heure, à l’épreuve des circonstances les plus ambiguës et de l’événement le plus critique, que la population de Paris n’est point cette foule « crédule, aveugle et emportée » qu’un écrivain se figure. Nulle autre, au