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l’intérêt qu’ont les Allemands à nous trouver en effet aussi pusillanimes qu’on nous suppose les pousse à nous méconnaître.

Il n’est pas de ville plus impénétrable que la nôtre pour qui n’y passe pas toute sa vie. Cet esprit critique qui s’exerce contre l’autorité, alors même qu’on l’approuve, cette rapidité de jugement qui laisse croire à un défaut de jugement exposent le Parisien à toutes les calomnies. Un théâtre qui s’ingénie à scruter les cas exceptionnels par où la conscience est troublée, à moins qu’il ne s’emporte à des libertinages par où elle est offensée, un roman qui marie aisément l’un et l’autre vice, des querelles politiques, des lieux de plaisir, une agitation légère et perpétuelle, la vie du boulevard, voilà tout ce qu’ont aperçu chez nous des voyageurs hâtifs ou des lecteurs lointains. Nous-mêmes, à l’occasion, sommes les premiers à nous décrier, et je ne puis relire sans tristesse ces lignes injustes que Francisque Sarcey consacre à la population parisienne, à l’heure même où elle endure les privations du siège et se rebelle si vaillamment contre la mauvaise fortune : « Combien elle est crédule, aveugle, emportée, écrit-il, et quel peu de fond il faut faire sur son bon sens et sa raison ! » Ce n’est point là le portrait d’un peuple au cœur solide, et en effet les souvenirs du siège et de la Commune confirment nos ennemis dans cette opinion que leur seule approche va provoquer dans nos rues des mouvemens populaires. Tandis qu’ils s’en persuadent, le monde entier les croit.

Je me souviens de la stupeur joyeuse que je voyais peinte sur le visage d’un Français qui, revenant de Suisse le 6 août 1914, croyait le Président de la République assassiné et la Commune proclamée : on ne pouvait l’arrêter de rire, tant il trouvait incroyable la tranquillité de Paris.

La réponse insolente de M. de Bismarck lors de l’entrevue de Ferrières est dans toutes les mémoires. Cette fois encore les Allemands croyaient pouvoir compter sur la « populace de Paris. » Paris leur a répondu avec une force où l’âme parisienne apparaît dans toute sa grandeur.

Quand ils marchaient sur la capitale avec cette précipitation farouche, ils pensaient en finir, s’ils frappaient d’abord la France à la tête. Cette bonne tête-là, les Parisiens ont tenu à honneur de montrer qu’ils n’entendaient pas la perdre.