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agricoles ou forestiers, ou de vendangeurs dans les vignes, ou simplement de la traversée, sur des pierres chancelantes, d’un torrent presque desséché.

Le domaine de Montplaisir avait été créé par Michel Chevalier. Paul Leroy-Beaulieu l’agrandit considérablement, rebâtit, pour ainsi dire, le château, replanta beaucoup d’arbres mieux appropriés au sol, ouvrit des allées plus pittoresques, etc. C’était sa fierté d’avoir accompli ces nombreuses et intelligentes améliorations, dont il aimait à se vanter, comme le fait un simple propriétaire local, sans autres mérites. Or notre ami, lui, avait d’autres mérites, et c’était une chose curieuse de voir ce Normand, d’origine authentique, s’attacher de la sorte à la terre méridionale.

Il possédait, en outre, aux environs, une ferme nommée la Fageolle, sur le sommet de ce plateau du Larzac, dont les sites désolés et pierreux ont été cités par lui-même, dans un article de 1902 sur le Sahara, pour donner une idée de ce que peut être le désert africain. La ferme, cependant, n’était pas improductive. Bien au contraire, avec ses espaces libres et ses bois de buis, elle entretenait Iucrativement des troupeaux de brebis, dont le lait alimentait les Caves de Roquefort, importante société industrielle de fromages, présidée par Paul Leroy-Beaulieu. Celui-ci tenait des comptes détaillés, presque méticuleux, de son exploitation agricole, et parcourait, en marcheur intrépide, les landes et les guérets que son gérant lui faisait visiter. Je me serais étonné d’une telle ardeur à remplir son rôle, si je n’avais pas connu la préface, citée plus haut, de son Traité d’économie politique théorique et pratique, qui explique, on s’en souvient, comment sa fonction de publiciste économique comportait qu’il s’intéressât à la vie rustique.

Son séjour à Montplaisir lui constituait ainsi un second laboratoire, après celui de Paris. C’est dans cette pittoresque campagne, sans manquer jamais à la rédaction hebdomadaire de ses articles de l’Economiste français, qu’il s’appliquait spécialement à corriger les épreuves des nouvelles éditions de ses anciens ouvrages, grosse besogne, car la Science des finances eut huit éditions, la Colonisation en eut six, le Collectivisme en eut cinq, et les quatre gros volumes du Traité d’économie politique en eurent six, sans parler de l’Art de placer et de gérer sa fortune, qui en est à son quarante-deuxième mille, chaque