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doué d’un tempérament fougueux et, réfléchi à la fois, pourra défendre ses convictions dans les feuilles quotidiennes, avec la certitude de remplir consciencieusement sa mission. En plus de cette forte préparation, Paul Leroy-Beaulieu possédait le courage d’aller jusqu’au bout de sa pensée, sans craindre d’appeler ses adversaires bavards ou étourneaux, mais en respectant toujours les personnes, conformément, du reste, à sa bonne et indulgente nature.

Enfin, ce qui constituait surtout sa force exceptionnelle d’écrivain journaliste, c’était de ne jamais emprunter ses idées à autrui. Sans doute, étant très instruit, il ne s’abstenait pas de citations. Mais il n’émettait aucune opinion qui ne sortit directement de son cerveau. Sa plume n’écrivait que ce qu’il avait mûri, et mûri tout seul. de là, dans sa rédaction, cette vivante chaleur communicative, qui séduisait ses lecteurs.

En 1871, 1872 et 1873, ses articles des Débats, longs et très denses, contenaient beaucoup de chiffres, dont la plupart, puisés aux sources officielles, étaient inattaquables. Mais d’autres chiffres moins certains résultaient de groupemens et de supputations. Comme les articles du Journal des Débats avaient peu à peu conquis une grande autorité, le ministre des Finances les faisait réviser par ses bureaux, soit pour s’instruire lui-même, peut-être ? soit plutôt pour trouver l’auteur en défaut. Car les administrations, suspectant volontiers d’ignorance l’audacieux écrivain qui se mêle de leurs affaires, aiment à démontrer, pièces en mains, qu’elles seules ne se trompent pas, et que seules, par conséquent, elles peuvent parler. Paul Leroy-Beau-lieu aurait très aisément obtenu tous les renseignemens dont il pouvait avoir besoin. Non seulement il ne les demanda pas, mais j’ai toujours eu l’impression qu’on l’eût désobligé en les lui fournissant, surtout accompagnés de notes tendancieuses, destinées à lui insinuer d’autres raisonnemens que les siens. Il fallait que les vérités à démontrer jaillissent de son propre cerveau, telles qu’il les avait laborieusement conçues.

Enfin, parfait journaliste de toutes façons, il excellait même à présenter les faits et les argumens avec le grossissement voulu, sans outrepasser cependant la mesure. Il expliquait, dans ses entretiens, pourquoi, dans tel ou tel cas, il avait dû forcer la note, afin que sa voix, comme il le disait, dépassât la rampe. Artifice, quelquefois nécessaire sans doute, dans lequel