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meurt soudain. Je ne distingue plus que des pas. Nulle parole, nul chant. Des pas réguliers sur le mauvais pavé-du quai Niki.

Un cavalier s’encadre dans la vaste découpure, entre les maisons, dans ce morceau de pierre, de mer et de ciel qui resplendit, qui devient tout or et tout bleu. Des fantassins surgissent à leur tour, et c’est un long, long défilé d’hommes, dont les fusils sont parés de fleurs, cependant que les cavaliers ont des touffes de verdure et de rouges fleurs sur leur selle.

Les Serbes !… Nous savons qu’ils débarquent, tous les jours, à Mikra, nous en avons vu quelques-uns, dans la ville, à la grande rage des Grecs. Mais ceux-ci ne viennent pas de débarquer. Ils sont, depuis quelque temps déjà, équipés et bien exercés. C’est le régiment du Has-Vardar, je crois, qui cantonnait au-delà de Zeitenlik, avec des zouaves, et qui va s’installer au camp de Sedès, en traversant Salonique dans toute sa longueur.

Ils regardent vers ma fenêtre et je ne puis me retenir de leur envoyer un salut joyeux.

Armée de fantômes redevenus des hommes vivans, avec quels sentimens considèrent-ils la cité endormie en paix sous le drapeau bleu et blanc de la Grèce, et ces soldats, les alliés de 1912, les traîtres de 1915 ?

Ils passent, ils passent, comme un remords dans le sommeil de la ville…


MARGELLE TINAYRE.