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dont on ne parle pas dans les journaux, qui ne recevra aucune récompense, qui est à la peine, cependant, et ne sera à l’honneur que dans le cœur de son compagnon, la femme à laquelle tous ceux qui m’écoutent donnent un nom différent, et que chacun évêque avec son visage et sa voix, la Française lointaine, mère, sœur, épouse, amante, amie, celle qui attend et qui attendra, fidèle au poste, jusqu’au bout.

Après, quand je suis descendue de mon banc, un peu tremblante, quelques soldats s’approchent. Ils tiennent à me dire leur impression. Ils ont eu plaisir à voir une femme de leur pays et à l’entendre parler de leurs femmes. Au moins, c’est bien vrai, tout ça ?… Le moral des civils est bon encore ?… Les absens ne sont pas oubliés ?… C’est qu’il y a des gens qui racontent, qui écrivent, qui colportent des choses… des choses…

— Quelles choses ?

— Des choses qui ne font pas plaisir… D’abord, on nous traite d’embusqués…

Cette injustice les exaspère. Ils sont en Macédoine, et non pas à Verdun, c’est un fait ! Mais la plupart préféreraient être à Verdun, sur le sol de France. Ils sont de la race qui, plus que toute autre, souffre de l’exil. La Macédoine leur paraît un affreux pays, qui ne dit rien à leur esprit, rien à leurs sens, rien à leur cœur, et qui est aussi étranger que la Chine.

Ils ont la tenace inquiétude de ce qui se passe là-bas, au bout de la mer, chez eux.

— Toutes les femmes ne sont pas sérieuses comme vous le dites… On reçoit des lettres qui font du mal…

Un officier m’a expliqué, l’autre jour, que les dénonciations, souvent anonymes, venaient troubler ses hommes, petites infamies qui peuvent causer de grands maux, basses vengeances d’âmes basses.

— Voyons, dis-je, vous le savez bien : quand une femme se conduit mal, tout le monde en parie et non pas sans exagération. Mais deux cents femmes qui restent chez elles, qu’on ne voit nulle part, qui ne font aucun bruit, il n’en est jamais question, on croirait qu’elles n’existent pas…

— C’est vrai, tout de même…

Pauvres soldats exilés ! Il est trop certain que tous n’ont pas les mêmes raisons de quiétude., Si j’ai pu les réconforter, si