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un minaret, que surmonte un large nid de cigognes. Un grand oiseau noir et blanc, perché sur une patte, dans une attitude de méditation philosophique, surveille la couveuse dont on aperçoit le bec pointu et les ailes repliées. Un porche, en forme d’auvent, soutenu par des piliers, précède l’entrée de la nef. J’ai tant de soleil dans les yeux et la chaleur de midi m’a tellement pénétrée, que l’ombre et la fraîcheur de l’église me saisissent brusquement. Je ne distingue rien, tout d’abord, pendant que je mets en hâte mon manteau sur mes épaules. Mais l’église délicieusement obscure semble peu à peu s’éclairer, à mesure que mon œil s’accoutume aux demi-ténèbres transparentes. C’est une bien modeste église, analogue à celles qu’on trouve dans nos villages de France, antique, basse, éprouvée par le temps, plus éprouvée par la barbarie des hommes, et déserte maintenant, désolée, vide de ses fidèles, vide de ses lampes, vide de prières et de chants, vide de son Dieu qui n’y descend plus à la voix du prêtre, dans le pain et le vin consacrés. Il y a des mois et des mois, des années peut-être, qu’on n’y célèbre plus d’office. Sur les dalles verdies par l’humidité, d’où suinte une odeur de cave, des objets de toute sorte traînent. Dans la galerie supérieure, le général B… a installé ses cantines et son petit lit de camp. Mais d’où vient cet espèce de rayonnement qui émane des murs, des boiseries, de l’iconostase, sous la charpente apparente du toit, finement rayée de solives ? Dans ce crépuscule éternel, dans cette atmosphère de puits, une ardeur couve, un feu riche et sourd s’allume, une splendeur mal éteinte se révèle lentement. L’église paysanne, brune au dehors et nue comme la coque de la grenade, contient le fruit vermeil d’un art très ancien, détaché du grand arbre mort de Byzance.

Tout l’intérieur est sculpté et doré ; de grosses guirlandes, feuillage, fleurs et fruits, dont l’or par endroits rougit et s’écaille, courent sur la haute cloison de l’iconostase, et cette cloison est entièrement tapissée de pieuses peintures, de petits panneaux de taille égale, où des personnages sacrés, dans leurs poses hiératiques fixées par la tradition, me fascinent avec leurs larges yeux d’idoles. Toutes les Vierges ont le visage en amande, les sourcils obliques, le nez aquilin, la bouche serrée et triste, un style qui me fait penser à certaines figures japonaises ou aux primitives madones siennoises. Toutes, presque sans corps, spiritualisées par l’incorrection volontaire