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à demander qu’elle les lui remplace. La Suède s’accroche à sa neutralité, et, après avoir renvoyé le ministère Harnmarskjoëld, elle le rappelle. Néanmoins, les Scandinaves, Danois et Norvégiens en tête, d’abord terrorisés, se reprennent; ils se reposent de nouveau dans l’antique adage, « que, s’il est nécessaire de naviguer, il n’est pas nécessaire de vivre; » et, au demeurant, il n’est pour eux qu’un moyen de vivre, qui est précisément de naviguer. L’Espagne n’a pas été en reste pour rencontrer la bonne formule, elle l’a prise à son grand ministre Canovas, M. de Romanones n’a fait que la répéter : « La vie de la nation ne peut être interrompue. » Par conséquent, le cas échéant, l’Espagne non plus ne reculerait pas. Les Républiques latines de l’Amérique du Sud, pour la plupart, le Brésil, le Chili, le Pérou, tout en conservant la conscience de leur latinité, ont, qu’on nous passe le barbarisme, acquis la conscience de leur « américanité; » et les deux se rejoignent, les poussent dans la même direction, la même intention, la même action. La Chine, en Extrême-Orient, rompt les relations diplomatiques avec l’Allemagne, et, faisant tomber la dernière carte qu’espérait jouer la Chancellerie, d’une brouille et d’une lutte entre les Jaunes, emprunte pour son armée des instructeurs à l’armée japonaise.

Récapitulons maintenant. C’est le monde entier, ce sont les deux mondes, que l’Allemagne va avoir contre elle. Si, vraiment, elle l’a voulu, elle n’a pas à se plaindre, et pourtant elle se plaignait l’autre semaine, par l’organe du major Moraht, qui, triomphant jadis, tourne à la Cassandre ou au Jérémie. Il reprochait amèrement à M. Bonar Law d’avoir opposé, avec méchanceté, « la nature allemande à la nature humaine. » Le monde entier crie à l’Allemagne qu’il pense là-dessus comme le premier lord de l’Amirauté. Le genre humain se range d’un côté, et laisse de l’autre le Deutschtum. Mais l’Allemand ne peut s’en prendre qu’à lui-même, d’être devenu un loup pour l’homme.


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.