Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand va sonner le fameux dernier quart d’heure, de remonter, par une erreur qui serait perfidement exploitée, l’esprit allemand prêt à défaillir. En revanche, c’est plus que jamais le moment de nous rappeler la maxime que nous aurions dû avoir incessamment présente à la mémoire : « La guerre se mesure avec les hommes, avec l’argent, avec le gouvernement, et avec la fortune, — ou la chance. » — Les hommes, l’Entente les a : ses effectifs dépassent sensiblement, au trente-deuxième mois de la guerre, ceux des Puissances dites de l’Europe centrale. L’argent, l’Entente le possède : le récent emprunt britannique vient d’en fournir, après les nôtres, le plus éclatant témoignage, plus de vingt milliards d’argent frais. La fortune même, ou la chance, nous a plus d’une fois souri, quoique, ne nous étant pas montrés grands connaisseurs de l’occasion, nous n’ayons pas su la saisir et que nous l’ayons laissée se retourner contre nous. Reste le quatrième terme, le quatrième des facteurs par lesquels se décide le sort de la guerre. Si l’Entente a pour elle les trois autres, il ne faudrait pas qu’il pût être dit que celui-là lui a manqué.

Tandis que le Président Wilson attendait la réponse de l’Autriche-Hongrie à la note où il la priait de lui faire savoir si elle s’associait à l’Allemagne et se solidarisait avec elle dans l’exaspération de la guerre sous-marine, réponse qui ne lui est parvenue que ces jours-ci, par l’ambassadeur des États-Unis à Vienne, et non par le comte Tarnowski, dont les lettres de créance n’ont pas encore été présentées à la Maison Blanche, plusieurs incidens venaient coup sur coup clarifier et simplifier la situation. Un sous-marin impérial coulait sans avertissement, et avec des raffinemens d’ironie qu’on ne peut qualifier que de « barbares, » dût la susceptibilité de l’Allemagne en être irritée, le paquebot anglais Laconia. Sur ce navire avaient pris passage quelques Américains et Américaines, dont deux au moins, deux femmes, sont mortes, du torpillage ou de ses suites. L’opinion, déjà émue à Washington comme à New-York et dans tout l’Est, en relations continuelles avec l’Europe à travers l’Océan désolé par ces brigandages, en a été vivement surexcitée. Il s’y est formé, pour ainsi dire, un remous d’indignation et de colère. Toutefois, dans l’Ouest, qui ne touche qu’au lointain Pacifique, et surtout dans le Moyen-Ouest, dont les fermes sont perdues au milieu des terres, les masses ne s’échauffaient pas. C’est une chose curieuse, qui nous semble incroyable, et qui est pourtant avérée, que cette guerre, la plus grande de toutes les guerres dont fassent mention les annales de l’humanité, et où tant de problèmes de tout ordre sont posés à la fois, puisse apparaître là-bas