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obtenir et des mesures à faire accepter. Mais, si l’on ne lit pas ce discours avec des lunettes allemandes, on n’y trouve point trace de lassitude, encore moins de découragement. Loin de là, et tout à l’opposé ; c’est un souffle héroïque qui le traverse et l’anime. A outrance, jusqu’au bout, jusqu’à la victoire ! Les sacrifices de luxe ou de bien-être que M. Lloyd George demande à la nation britannique, il les lui demande non par nécessité, mais par prévision, pour accroître à son bénéfice, et au bénéfice de l’Entente, sa puissance de durée. On ne saurait nier que, maîtres de la mer dès le mois d’août 1914, les Alliés n’ont été privés et ne se sont privés de rien; que, sous ce rapport, au total, ils n’ont jusqu’ici senti que très légèrement la guerre. Mais on ne saurait nier non plus qu’une guerre qui se prolonge pendant trois ans réduit la production et épuise les ressources du monde, pèse sur les quantités et sur les prix d’un poids chaque jour aggravé, bouleverse les transports et les changes, secoue les finances les plus solides, vide les trésors les mieux garnis. A cet égard, comme à tous les autres, il s’agit de gagner et de garder pour soi le dernier quart d’heure. C’est le sens profond, la vraie raison des restrictions, réglementations et rationnemens qu’on nous impose. Les peuples qui ont donné généreusement, pour vivre libres et tranquilles, la fleur de leur chair et de leur sang subiront de bon cœur ces médiocres ennuis, à la condition qu’ils en comprennent l’utilité, qu’on leur montre à quel but on veut les conduire par de tels chemins, et qu’ils soient assurés qu’on ne les soumet qu’aux privations qu’on n’a pas pu leur épargner. Il n’y a qu’une chose qu’ils ne toléreraient ou ne pardonneraient pas, et qui serait qu’une administration, trop routinière ou trop molle, au lieu de prendre la peine de chercher à résoudre les questions à l’avantage du public, jugeât plus commode de les faire résoudre par le public lui-même à son détriment. Arrivés au point où nous sommes, tous les peuples, dans tous les temps, se sont plies à toutes les dictatures, sauf une seule, sauf celle de l’incapacité. En la circonstance, nous avons un motif de plus pour prendre garde de n’exiger que les sacrifices inévitables. Il serait par trop maladroit de donner à l’Allemagne un prétexte de déclarer ou d’insinuer que sa campagne a réussi, que son blocus sous-marin a réalisé son objet, brisé entre nos mains la maîtrise des mers, et que, malgré la protection de la flotte anglaise et la complaisance des neutres, nous sommes maintenant aussi gênés qu’elle; ce qui lui serait à l’intérieur un réconfort, et à l’extérieur un moyen de pression. N’exagérons donc ni en bien, ni en mal ; ni l’optimisme, comme on dit, ni le pessimisme; ce n’est pas le moment,