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dans les Vosges, de telle sorte que quelque chose d’énorme s’ébauche, sans que rien encore soit nettement dessiné. On signale de grosses concentrations alternativement en Alsace et en Belgique. Est-ce Belfort qui serait visé ? Est-ce Calais ? Ou nos deux ailes ensemble ? Et nous, pourquoi resterions-nous passifs ? Les états-majors impériaux, l’allemand et l’autrichien, se remuent et on les remue beaucoup. Hindenburg et Ludendorff, Falkenhayn, l’Empereur en personne, sont apparus, sur notre front, au moins dans les télégrammes de certaines agences, qui les avaient suivis auparavant sur l’Isonzo ou le Carso, inspectant le front italien. Ce qui est sûr, public et officiel, c’est que le maréchal Conrad von Hoetzendorff a été remplacé dans ses fonctions de chef d’état-major général par son collègue, le moins malheureux des généraux autrichiens, Von Arz; et comme le même rescrit qui le destitue lui promet d’autres destinées, on en conclut qu’ayant passé toute sa carrière à méditer l’invasion de la Lombarde, c’est cette opération que, pour la couronner, il va être chargé de conduire. Simultanément, Hindenburg, des quatre coins de l’Allemagne, est étourdi d’appels et d’implorations ; on lui plante dans la tête des adresses comme naguère on lui plantait des clous dans le corps, et Ludendorff est, après lui, proclamé l’homme indispensable, providentiel, placé au-dessus des atteintes de la grâce et de la disgrâce du Kaiser. Vieillards allemands, femmes allemandes, enfans allemands, particuliers et associations, parlent, écrivent, manifestent, s’agitent, chantent l’hymne au sous-marin allemand pour faire suite à l’hymne au zeppelin allemand, détrôné, acclament la guerre allemande qui amènera la paix allemande. Il y a là-dedans quelque délire ; nous n’en savons pas tout, et ce que nous en savons, nous le savons mal, mais ce n’en est pas moins un signe. Population, industrie, organismes militaire, politique, économique, tout l’Empire est tendu, autant qu’il peut se tendre, pour un immense effort.

Il se pourrait bien que nous fussions aux premières minutes du dernier quart d’heure. Ce n’est pas seulement l’Empire allemand qui tend ses muscles et ses nerfs. Ce sont tous les pays belligérans. En Angleterre, au début de la quinzaine, M. Lloyd George a prononcé de fortes et un peu rudes paroles. Il a estimé de son devoir de tenir, à un peuple viril, un langage viril, de lui dire la vérité sans périphrases, et de le placer sans ménagement en face de la réalité. Au fond, tout son discours se résume en un mot : « Voici venir les temps difficiles, » et certes il n’a atténué, — au contraire, — aucune des difficultés. On dirait volontiers qu’il les a grossies à dessein, en vue de l’effet à