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allemand, quoique de peu de pudeur, n’a tout de même pas osé aller jusqu’à ce degré dans la fantaisie ; il accorde que le maréchal sir Douglas Haig et son lieutenant le général Gough, ont bien pu constater sa retraite en Picardie, quand elle a été terminée ; ce n’est qu’avant et pendant qu’elle leur aurait échappé. Mais on pense s’il explique et s’il épilogue : il n’a pas reculé, il manœuvre. Nous-mêmes, on a beau dire que nous « sous-estimons » ou « sous-évaluons » parfois nos adversaires ; l’astuce, et pourquoi ne pas le reconnaître ? la science militaire des Allemands nous en a fait voir de tant de sortes et de tant de couleurs que, d’instinct, nous nous sommes méfiés. Cette facilité à rompre, ce terrain cédé sans défense, ces lignes solides subitement abandonnées pour une ligne qui ne les vaudrait pas, tout cela ne nous paraissait pas naturel. Plus d’un, chez nous, et plus d’un qui est du métier, — nous en avons vu, — a interrogé ses cartes, cherchant à pénétrer le mystère : peut-être les Allemands allaient-ils, lorsque l’armée britannique, à son tour, formerait un saillant, l’attaquer en même temps de front et sur son flanc droit. Et l’on entrait dès lors dans la série infinie de « peut-être, » qu’il la guerre, d’ailleurs, et en face d’un vieux routier comme Hindenburg, il est prudent de parcourir tout entière, peut-être le maréchal raccourcissait-il le front allemand pour constituer une armée de choc qu’il se proposait d’employer autre part, soit contre nous, soit, en reprenant son jeu favori, en poussant à leur plein rendement ses chemins de fer, contre tel ou tel de nos alliés. Peut-être préparait-il, et même commençait-il à exécuter son offensive, ou peut-être simplement voulait-il retarder la nôtre, celle des Anglais du moins, en dérangeant leur plan et les obligeant ainsi à refaire leurs propres préparatifs. Peut-être était-ce, en somme, une façon de nous arracher et de s’assurer l’initiative des opérations désormais prochaines. Il va de soi que l’État-major impérial ne nous l’a pas dit, mais il ne l’a pas dit davantage à l’Allemagne elle-même, à qui il a cependant éprouvé le besoin de dire toute sorte de choses.

C’est un aussi grand argument contre les états-majors que contre les églises et les gouvernemens, que l’histoire de leurs variations. Or, depuis quinze jours, le grand quartier allemand n’a cessé de varier. Il a d’abord allégué la boue, « la vase » de ses tranchées ; et il se peut en effet que l’argile des marécages de l’Ancre soit un séjour peu confortable ; mais les Anglais, qui passent pour aimer leurs aises, s’y sont néanmoins installés ; à vue de pays, il serait extraordinaire qu’il y eût tant de « vase » sur la butte de Warlencourt, par