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d’un coup, après ces semaines d’une exaltation héroïque, voici toutes nos âmes étreintes d’une angoisse de mort ! Et M. d’Annunzio trouve « dans le livre de sa mémoire, » à la date du 30 août 1914, des pages que j’aurais aimé pouvoir citer tout entières :


Aujourd’hui l’envahisseur est à La Fére. Ses chevaux remontent, par la vallée de l’Oise, vers Paris ; déjà ils foulent sous leurs pieds le vrai cœur de la France ; et à chaque pas la fureur bestiale de leurs cavaliers profane un souvenir, offense une beauté, ravive une douleur. J’ai vu un voile subit troubler le regard de l’ami qui, tout à l’heure, m’apprenait la triste nouvelle, — un ami qui, lui-même, est né dans la contrée natale de Jean Racine, à l’ombre des vieilles tours élevées jadis par Louis d’Orléans…

A Paris, le ciel parait encombré de cendres, les rues sont pâles comme des artères d’où le sang s’est écoulé, la Seine stagnante et épaissie semble résister à l’effort du remorqueur fumeux qui traîne la longue file des bateaux chargés de charbon ; et tous les arbres se mettent d’un seul coup à perdre leurs feuilles, comme si, brusquement, ils venaient d’être saisis de la maladie de l’automne.


Nous sentons l’inquiète tristesse des places désertes, pendant que « les douze stations de chemins de fer de Paris ne se lassent point d’emporter hors de la capitale et ceux qui vont combattre et ceux qui vont chercher un abri. » Longtemps, en une succession de petits tableaux où il n’y a pas jusqu’au bruit et à l’odeur des choses qui ne nous soient savamment restitués, le poète procède à déchiffrer le « livre de sa mémoire. » Après quoi il nous dit ses propres émotions, sa crainte vraiment toute filiale pour Paris et la France, et l’impossibilité qu’il éprouve, tout d’un coup, d’être seul, et cependant combien l’excès même de la douleur ne réussit pas à détruire chez lui la nouvelle conscience d’une sorte de beauté surnaturelle, sacrée, de la guerre. Et puis, le 3 septembre, « à la veille du miracle, » le voici transportant son observation de peintre-poète et sa rêverie dans notre Ile de la Cité, où il lui semble que, depuis un instant, « l’âme civique de la France s’est merveilleusement renforcée ! » Il a l’impression consolante « de voir soudain entrer dans la cathédrale de Notre-Dame l’image d’une France mal armée, mais victorieuse à force d’intrépidité, de la même façon que jadis y est entré à cheval le roi Philippe le Bel avec cette demi-armure, sans cuirasse ni jambières, qu’il avait portée pendant sa récente victoire de Mons-en-Puelle. » La petite église de Saint-Julien-le-Pauvre, avec le vénérable trésor de ses souvenirs ; de sombres ruelles oubliées où l’on croit qu’en son temps a demeuré Dante ; et le pieux pèlerinage du poète s’achève au « sanctuaire » de