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aggrave l’horreur de leur situation. Ils grouillent dans des trous couverts de branchages, se terrent dans la forêt où ils grelottent sous des tentes faites de chiffons innommables, ou autour de feux dont le bois mouillé brûle mal. Pour comble d’infortune, la petite vérole et la fièvre typhoïde sévissent parmi eux. Mangeant au même kotiol, dormant pêle-mêle, ils se contaminent a qui mieux mieux, et il faut organiser de véritables battues pour les obliger à se présenter à la vaccination.

Noël approche. On prépare des arbres de Noël : à l’ambulance, pour les blessés ; à la division, pour les soldats ; au poste de secours, pour les réfugiés et jusque dans les tranchées, là-bas, pour les combattans… Tout le camp est en émoi, car on sait qu’il y aura un cadeau pour chacun. Nos soldats se sont disputé l’honneur de choisir et de couper dans la forêt les plus beaux sapins, aux branches les plus fournies et aux aiguillettes les plus vertes.

Nous avons fait assaut d’émulation, — et d’habileté stratégique ! — pour obtenir ou confectionner les objets destinés à orner nos arbres : bougies, fleurs en papier, cartons-surprises… Nos zimliankas présentent l’aspect de bazars souterrains ; on dirait un village tatare dont chaque maison serait une boutique. Les vêtemens de laine : jupes, tricots, fichus, manteaux, — destinés aux petits, mais qui feront pleurer de joie les mères, — s’entassent dans un coin ; les bas, les souliers, les chaussons montent à l’assaut du banc ou en débordent en vagues plongeantes ; sur le lit de camp s’étalent les pipes, les briquets, les porte-monnaie pour nos soldats. Çà et là, les roses en papier mettent leur note un peu prétentieuse de petit jardin artificiel. Il y a en plus, chez moi, une lanterne vénitienne, toute ronde, ventre de poussah ceinturé de rouge, de jaune et de bleu. Cette trouvaille me vaut un gros succès :

— Vous savez que Nadiejda a déniché une lanterne vénitienne pour le sapin des réfugiés ?…

Ma zimlianka ne désemplit pas !

Le grand jour est arrivé ; la veille, le prêtre a célébré l’office nocturne, nous avons chanté les hymnes, et, le jour de Noël, on a festoyé dans les zimliankas. Après la soupe, copieuse, additionnée de quelques douceurs, nous avons pu réunir nos réfugiés autour de l’arbre pesamment chargé et leur distribuer nos cadeaux sans être inquiétés par la canonnade… Les mères