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où nous avons la naïveté de nous croire à l’abri… Les Allemands ont eu tôt fait de nous débarrasser de nos illusions. Il y a quelques jours, ils nous ont pris pour cible. Shrapnells, obus, tombaient autour de nous. Quelques soldats ont couru se réfugier dans la forêt, mais aucune de nous n’a abandonné son poste d’honneur auprès des blessés. Heureusement, personne n’a été atteint.


Noël au front.

Décembre. — Nous avons traversé Vileïka, tragique dans la désolation de ses maisons incendiées, et nous sommes à 15 verstes en avant, à B…, avec notre division. Le petit village de B…, qui fut peut-être heureux et riant, n’est maintenant qu’une pauvre chose morte : débris, cendre et poussière ! Il n’y a que le cimetière qui semble vivant, à cause de ses croix neuves !… Dès notre arrivée, nos soldats ont aménagé la place, installé le camp, creusé des zimliankas et, pour les consolider, coupé des arbres dans la plus proche forêt. C’est une navette ininterrompue d’hommes qui partent, la hache à la ceinture, et reviennent traînant après eux les branches de sapin dont les fines aiguilles balaient la neige et des fûts entiers de bouleaux, à l’écorce lisse et blanche qui s’écaille et brunit par endroits. Autour des feux allumés, les Cosaques s’assemblent pour chanter leurs chansons guerrières, que termine souvent un cri aigu comme un coup de poignard : « You ! » Vers le soir, les files de traîneaux arrivent, apportant le ravitaillement. A certaines heures, le camp et ses alentours dégagent une poésie intense et pénétrante : soir qui tombe, plaine immense, forêt estompée de bleu ou emmantelée de blanc, soldats qui rentrent un à un ou par groupes, files de traîneaux étrangement silhouettées dans le soir et, parmi les bruits qui s’apaisent, une voix, mélancolisée par l’éloignement : celle de quelque accordéon que, du fond de sa zimlianka, un soldat en mal du pays fait pleurer…

A défaut de maison, toute l’ambulance, malades, sœurs, sanitaires, s’est installée dans des zimliankas. Nous formons une petite cité souterraine, à une seule rue, dont les toits presque à ras du sol et cachés sous la neige laissent échapper de minces filets de fumée bleue. Peu de blessés et, comme à Slabada, nous donnons une partie de notre temps aux réfugiés. L’hiver