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Les derniers jours de Vilna (fin juillet 1915).

Enfin, je pars pour le front. Il y a longtemps que je le désirais. Notre Starché Sistra (Sœur directrice) vient de m’en apporter la nouvelle et, tout de suite, je cours l’annoncer à mes deux amies : Mlles Viriofkine.

Surprise : elles partent avec moi ! La ville de Vilna a formé une ambulance à laquelle nous serons attachées. Le commandant, un prêtre, deux docteurs, deux assistans, cinq Sœurs et quelques sanitaires (infirmiers) en composent le personnel. Au premier moment de libre, je monte pour préparer mon menu bagage : quatre kassinckas (voiles) blanches, deux noires pour l’hiver, de bonnes chaussures, une robe de rechange, ma veste de cuir, enfin l’indispensable. Il y a longtemps que mes vingt-quatre ans ont mis de côté toute espèce de coquetterie.


C’est aujourd’hui que nous partons. Je suis plus remuée que je ne l’aurais cru. Comme mon hôpital m’est cher ! C’est le premier, le seul où j’ai travaillé jusqu’ici. J’ai assisté à sa fondation et tous mes souvenirs de guerre s’y rattachent. J’y ai fait mes études d’ambulancière aux côtés de mes deux amies et sous la direction de leur mère, Mme Viriofkine, femme du gouverneur de Vilna. Je me rappelle la visite de l’Empereur qui, de sa propre main, nous distribua nos croix rouges. C’était la première fois, nous dit-il, qu’il avait l’occasion de remplir ce rôle. Aussi on le devinait très ému, presque timide, — vous savez, de cette timidité jolie qui s’allie en lui à la majesté et qui lui va si bien ! L’Impératrice vint nous voir à son tour. Il n’est pas un coin de Russie où sa réputation de bonté n’ait pénétré. Partout où elle passe, son sourire fait de la lumière. Nos soldats étaient avides de sa présence. Et, bien longtemps après son départ, nous la sentions encore parmi nous.

Des mois ont passé. J’ai vu arriver bien des blessés, repartir bien des guéris, j’ai assisté bien des mourans… Entre ces murs blancs, je me suis fait une âme nouvelle. Il y a loin de la Nadine vive, enjouée, même un peu ironique d’autrefois, à la Sœur Nadiejda-Ivanovna d’aujourd’hui. Certes, j’ai encore de la gaieté dans l’âme, mais elle ne sert plus qu’à alimenter ce courage tranquille cette égalité d’humeur que nos fonctions