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suivi l’Empereur au quartier général de l’armée où il se développe, dans un milieu de grand air et d’activité qui lui plait, car il adore tout ce qui est action. La guerre l’a pris enfant des bras de sa mère ; c’est presque un homme qu’elle lui rendra !…

Pendant que je rêve ainsi, la lune a continué de s’élever dans le ciel. Elle est maintenant presque au zénith et baigne le paysage d’une clarté quasi irréelle. Par je ne sais quel jeu merveilleux de la réflexion de la lumière, elle dessine sur la mer des échelons d’argent qui, du sommet de la vaste courbe tracée par les eaux, vont s’élargissant jusqu’au rivage. Cet escalier idéal évêque soudain à ma pensée un vibrant souvenir. Je revois l’Empereur, — tel qu’il m’apparut en la mémorable journée du 12 février 1916, — descendant les degrés de l’hémicycle du Palais de Tauride, lors de sa première visite à la Douma. Avec quelle simplicité pourtant majestueuse et empreinte de bonté, le Tsar allait vers son Peuple !… Ce murmure lointain, est-ce le bruit des vagues, où l’écho des ovations, des hourrahs qui montaient des bancs des députés, descendaient des tribunes et venaient déferler aux pieds de l’Empereur, comme ces mêmes vagues au bas de l’escalier d’argent que la lune dessine sur les eaux ? Jamais je n’ai douté de la victoire des Alliés, mais jamais non plus elle ne m’apparut plus tangible qu’en cette journée où l’âme du Souverain de toutes les Russies a communié avec l’âme de son peuple : fusion de deux forces en lesquelles résident toutes les grandes possibilités de l’avenir.


AU SANATORIUM IMPÉRIAL DE LIVADIA

La Novaïa Bolnigzia (Nouvel Hôpital) avec sa façade blanche, ses deux corps de logis en avancée pour former les ailes, son église polygonale qui en occupe le centre, ses terrasses à balustres du rez-de-chaussée, ses piliers supportant les terrasses du premier étage, n’a rien de la sévère et monotone régularité qu’on est convenu d’attendre d’un hôpital. L’Impératrice en a tracé le plan, et l’on ne s’étonne pas d’y retrouver ce cachet d’élégance et de parfaite distinction.

Je surprends la Novaïa Bolnitzia en pleine activité. C’est le matin, heure des opérations et des pansemens. Les infirmiers poussent devant eux les lits roulans, les Sœurs vont d’une salle