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garde-barrière. Resté seul, le chasseur Carroux les rejoignit et, par la fenêtre, tira encore quelques cartouches.

— Du moins, disait-il, on en aura descendu quelques-uns de plus.

A peine Carroux avait-il prononcé ces paroles, qu’une balle lui fracassa les os du bras en déchirant les chairs… Avant de s’éloigner de la fenêtre, pour se réfugier dans la cave, le dernier combattant de cette lutte désespérée vit que les Allemands n’étaient plus qu’à quelques mètres de la maison, et s’apprêtaient à l’incendier. Le sous-lieutenant Allier, gisant sur le sol, avait été immédiatement entouré par la horde furieuse.

Que devint ensuite ce jeune homme intrépide, ce chef qui, avec quinze hommes, a su pendant plusieurs heures, empêcher les Allemands de sortir de Saint-Dié, donnant ainsi à ses frères d’armes le temps d’organiser une nouvelle contre-attaque et de refouler vers la frontière un ennemi qui croyait déjà tenir l’une des voies qui auraient conduit l’invasion au cœur de la France ?

Un adversaire chevaleresque eût recueilli ce glorieux blessé avec tous les honneurs et tous les égards qui étaient dus à sa prouesse. Les Allemands le laissèrent porter dans une des ambulances de la ville, où il resta jusqu’au lendemain. Des documens d’ordre historique et judiciaire diront, un jour, quel crime fut commis avec préméditation, au moment où ce blessé, qui n’avait encore reçu aucun pansement, allait être évacué sur l’Alsace. Qu’attendre d’un Knœrzer ? Ce Wurtembergeois servile et brutal avait en poche, lui aussi, l’ordre transmis par le général Stenger aux Badois de la 58e brigade : Von heute ab werden keine Gefangene mehr gemacht. Sämmtliche Gefangene werden niedergemacht. Verwundete ob mit Waffen oder wehrlos, werden niedergemacht… Kein Feind bleibt lebend hinter uns. Cet affreux grimoire veut dire : « A partir d’aujourd’hui, il ne sera plus fait de prisonniers. Tous les prisonniers seront abattus. Les blessés, armés ou non, seront abattus… Il ne doit pas rester un ennemi vivant derrière nous. »

La mort du sous-lieutenant Roger Allier, lâchement assassiné par les Barbares, inflige une tache indélébile au nom déshonoré des soldats allemands et des chefs allemands auxquels son héroïque sacrifice a fermé l’issue par où ils voulaient sortir de Saint-Dié pour atteindre plus loin la route qu’ils croyaient ouverte à leurs appétits de conquête et à leur fureur