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Robache, du Bois-Brûlé, l’ennemi débouche à flots précipités où l’on sent toutefois l’exécution d’un plan préparé longtemps d’avance. Il est évident que cette manœuvre d’encerclement est la conséquence d’une longue préméditation, patiemment continuée, pendant près d’un demi-siècle, avec une méthode perfectionnée sans cesse par deux générations de savans et d’espions, mobilisés en deux équipes parallèles toutes les positions qui avoisinent Saint-Dié, — la montagne d’Ormont, les terrasses de Gratain, les roches Saint-Martin, les murailles démantelées du château de Spitzemberg, le col d’Anozel, la vallée de Taintrux, qui ouvre le chemin de Rougiville, de Bruyères et d’Epinal, — avaient été soigneusement repérées, sous prétexte de tourisme, par ces promeneurs en vareuse verte et en chapeau tyrolien, dont le crayon d’Hansi a noté tous les ridicules, et dont notre débonnaire police n’a peut-être pas surveillé suffisamment tous les méfaits.

La butte boisée de. Beulay avait été marquée longtemps d’avance pour servir d’emplacement et de défilement aux batteries lourdes qui devaient balayer de leurs rafales toute la vallée de la Fave, et faire éclater un enfer de projectiles fusans et percutans sur les alpins du 51e bataillon, isolé, accroché aux pentes d’une colline battue par les bombes.

Que faire en une pareille extrémité, sinon se faire tuer pour sauver l’honneur ? C’est ce que fit notamment le capitaine de la 7e compagnie, M. Rousse-Lacordaire, admirable officier, dont les dernières paroles, toutes inspirées par un magnifique idéal, ont été recueillies, au moment suprême, par les témoins de sa mort glorieuse[1]. Les sous-lieutenans Bonimont et Girard tombèrent au même champ d’honneur. Les mitrailleuses ne cessèrent de tirer sur l’ennemi, jusqu’au moment où la retraite des artilleurs, à court de munitions, se repliant en bon ordre sur Saint-Dié pour sauver leurs pièces, obligea les alpins à redescendre dans la ville. Jusqu’au bout, le sous-lieutenant Allier, chef des mitrailleurs, se maintint sur sa position, malgré l’intensité du bombardement. Le percuteur d’une de ses mitrailleuses s’étant cassé, il n’en continua pas moins son feu, pointant lui-même l’unique pièce dont il disposait, resté presque seul, tenant tête à l’ouragan des

  1. Voyez Ferdinand Belmont, Lettres d’un officier de chasseurs alpins, p. 31-33.