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silencieuse qui sait supporter sans plainte les déceptions et les mécomptes ; en attendant l’échéance, parfois tardive, de la récompense méritée et des justes honneurs.

L’histoire de nos bataillons alpins, appelés en toute hâte des cantonnemcns de la Savoie et du Dauphiné, ou brusquement ramenés d’Alsace après la retraite de notre armée de Lorraine, mérite d’être contée en détail, étape par étape, épisode par épisode et, pour ainsi dire, fanion par fanion. C’est une épopée douloureuse et sublime, dont les fragmens, aujourd’hui détachés par la dispersion des épisodes, pourront servir plus tard, en l’honneur de la France d’aujourd’hui, à l’achèvement d’un poème comparable aux chansons de gestes que les trouvères ont consacrées à la France d’autrefois. Il faut que des récits véridiques, appuyés sur des faits et sur des preuves, offrent déjà au courage, à l’abnégation de nos vaillans soldats une part de la récompense méritée par des hauts faits trop ignorés, et préparent pour les poètes futurs, aussi bien que pour les historiens à venir, l’œuvre définitive où les générations successives viendront, pendant des siècles, chercher une ressource inépuisable de consolation, d’espérance et de fierté.

Grâce à des documens nouveaux, obtenus par l’enquête scrupuleuse et passionnée d’un père et d’une mère affligés d’une glorieuse douleur, il nous est permis de retracer quelques tableaux d’un drame qui doit être mis en pleine lumière, et de rendre hommage à des milliers de braves, de maintenir le souvenir de leurs épreuves et la tradition de leur exemple, en faisant connaître notamment, par des renseignemens précis et probans, ce qu’a souffert le 51e bataillon de chasseurs alpins pour la défense de la ville de Saint-Dié, pour le salut de la patrie.


I. — L’ARRIVEE

Pauvre ville de Saint-Dié ! Déjà envahie pendant la guerre de 1870, elle pouvait de nouveau s’attendre, hélas ! à un triste sort, étant située à quelques kilomètres de la nouvelle frontière, que l’on peut atteindre en deux ou trois heures de marche, d’un côté par la route de Wisembach et de Sainte-Marie-aux-Mines, en grimpant la rampe de Saulxures et le raidillon du Han, de l’autre par le chemin qui va de Provenchères à la trouée