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raison de ceci que le Cantique des Cantiques fait partie des livres saints de l’Eglise et que Lacordaire a pu dire : « Il n’existe pas deux amours, il n’y en a qu’un : l’amour céleste est le même sentiment que l’amour terrestre, mais son objet est infini. » Catherine lisait le Cantique des Cantiques avec tout son cœur de femme, et sans cesse elle répétait le gémissement de la Sulamite : « Qu’il me baise du baiser de sa bouche ! » Encore n’osait-elle pas réclamer davantage et formuler le souhait brûlant : « Que sa main droite passe sous ma tête et que sa main gauche m’embrasse ! » Mais elle désirait ardemment le baiser, le baiser que donne l’époux h. son épouse…

Or, raconte Caffarini, tandis que Catherine priait dans sa Cellule sans pouvoir se rassasier de répéter les gémissemens d’amour de l’Epouse du Cantique des Cantiques, il advint que Jésus lui apparut et lui donna un baiser qui la combla d’une douceur indicible. Elle s’enhardit alors jusqu’à le prier de lui enseigner ce qu’elle devait faire pour ne lui être jamais un seul instant infidèle et toujours lui appartenir de cœur, d’âme et d’esprit. Ceci exprime clairement quelle est l’essence même de l’amour mystique.


Vint alors le jour si longtemps attendu des noces mystiques de Catherine Benincasa.

C’était un mardi de l’année 1367, le dernier jour du Carnaval, le Mardi Gras… Sienne était en pleine effervescence, les masques fourmillaient dans les rues, on entendait des cris, des rires, des chansons accompagnés des accords de la lyre, et des baisers folâtres. Les Siennois s’entendaient à se divertir. Dans la via Garibaldi, à la hauteur de la via Magenta, s’élève encore la Consuma, qui est la maison où se réunissait la jeunesse dorée de la ville, la « brigade dépensière, » qui trouvait moyen de gaspiller deux cent mille florins d’or en l’espace de vingt mois seulement. « Y eut-il jamais hommes plus légers que les Siennois ? » interrogeait Dante scandalisé. Il les connaissait bien et avait été l’un des leurs au palio, la grande fête de l’été ; il avait pris part à leurs festins et goûté de leurs mets les plus délicats, du délicieux gibier farci d’œillets et de bien d’autres gourmandises païennes.

Mais les joies du carnaval n’avaient point accès dans la