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fut une idée excellente que celle de les attacher avant tous à la domination latine. On entendait même en augmenter le nombre, puisque Guillaume de Tyr écrit qu’en 1115, Baudouin I fit venir d’au-delà du Jourdain tous les Syriens ou Arabes chrétiens qui voulurent s’établir dans ses États, leur accordant dans Jérusalem les plus grandes franchises. La confiance en eux était telle que, placés ainsi au-dessus du Sarrasin et du Grec, ils pouvaient prêter serment en justice même contre un Franc. Les Maronites surtout, « une manière de gent, dit Guillaume de Tyr, que l’on appelait Suriens qui abitent en la terre de Fenice, entor la terre de Libanie, » étaient très considérés : car « preuz en armes, » ils avaient apporté grand secours aux chrétiens, ajoute-t-il, « quant ils se combatoient à nos ennemis. » Conservant leurs lois et leurs prêtres[1], ils étaient entrés dans le courant franc, bâtissant des églises à Hattoun, Meiphouk, Helta, Maad, etc., avec le style des Latins et gardant, ce qui valait mieux encore, une gratitude, qui a survécu à sept siècles, pour les dominateurs qui les avaient si amicalement traités.

Des liens assez semblables se nouaient avec les Arméniens. Cette nationalité qui résistait et devait toujours résister à l’emprise musulmane, chrétiens restés en plein Orient fidèles à l’Église de Rome, s’était sentie confirmée par l’arrivée en Syrie de l’élément latin. Les souverains de l’Arménie indépendante qui s’étaient non seulement liés par des traités, mais alliés par des mariages avec les princes chrétiens de Terre Sainte, plus particulièrement les princes d’Antioche, devaient un jour aller jusqu’à transmettre par une dernière union leur couronne aux Lusignans de Poitou. De grandes familles arméniennes, — les Familles d’Outre-Mer de Du Cange en témoignent, — avaient suivi l’exemple et contracté alliance avec les barons de Palestine. Il était donc naturel que les milliers d’Arméniens établis en Syrie constituassent un fond de population fidèle, traitée avec autant de cordialité que les Syriens proprement dits et par-là rattachée plus étroitement qu’eux au régime franc. A côté de la Haute Cour et de la cour des bourgeois, une cour avait été créée, composée d’indigènes et jugeant d’après les anciens usages du pays Grecs, Syriens et Arméniens.

  1. A côté du catholicos arménien, il y avait, dans le seul patriarcat d’Antioche, des patriarches syriens, maronites et jacobites avec 31 évêques et archevêques des rites orientaux ; dans le patriarcat de Jérusalem, 15 prélats indigènes.