Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne aux institutions franques de Syrie un immense intérêt pour tout historien du Moyen Age.

La féodalité crut bâtir en Palestine son État idéal. Le Roi, à qui elle avait même refusé tout d’abord un titre jugé tendancieux, ne serait que le président d’une république féodale ; élu par une aristocratie hiérarchisée, assisté dans tous ses actes par une Cour féodale qui ferait la loi et l’appliquerait, esclave des règles féodales dont il ne bénéficierait qu’à la condition de s’y soumettre, tel était pour les électeurs de Godefroy le chef qui siégerait sur la montagne de Sion et tel parait bien avoir été à peu près le caractère du monarque pendant plus d’un demi-siècle, — jusqu’à ce qu’un roi intelligent et audacieux, Amaury, eût, dans la seconde moitié du XIIe siècle, fait éclater le cadre étroit où on l’enfermait. L’Assise du roy Amaury, dont les historiens de la Syrie franque ont trop méconnu les conséquences, a marqué l’évolution de la royauté féodale en Terre Sainte vers la monarchie traditionnelle.

La constitution primitive fut contenue dans les Lettres du Saint-Sépulcre, vraisemblablement dictées au duc Godefroy par ses électeurs : ce furent les assises du royaume, mot qui resta au code de lois que, plus tard, après plus d’une transformation de fait, devait recueillir et rédiger le jurisconsulte Jean d’Ibelin sous le titre d’Assises de Jérusalem.

Le Roi devait être élu. En fait, il y eut toujours, — pour la forme, après les deux ou trois premiers règnes, — élection. Godefroy, Baudouin I, Baudouin II sont élus par « les grands » (proceres). Mais dès la seconde élection, le principe parut altéré. Godefroy avait, nous l’avons vu, désigné son successeur : son propre frère Baudouin d’Edesse. Le corps féodal l’eût-il accepté ? Je ne sais. Mais il fut servi par les circonstances. D’une part, Tancrède, devenu prince d’Antioche, fit mine de s’imposer, soldat jugé incommode encore que prestigieux, et, d’autre part, le patriarche Daimbert, que son échec de 1099 ne décourageait pas, réédita ses prétentions à faire du royaume un État théocratique. Au soldat comme au prêtre, les seigneurs opposèrent le vœu du saint Godefroy : ils élurent Baudouin ; mais cette « élection » n’en était pas moins une homologation et au profit du plus proche parent du chef défunt : par-là déjà le principe de l’hérédité venait altérer celui de l’élection. Par ailleurs, Baudouin, affectant de vouloir calmer l’irritation du