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le voisinage l’entendit. Elle poussait des cris sauvages : « Ma fille, ma fille, veux-tu donc te tuer ! Ah ! quelle est la puissance qui me ravit mon enfant ? » Puis (fait observer Raymond avec un froid mépris) elle se livrait à toutes sortes d’actes étranges comme de s’égratigner le visage ou de s’arracher les cheveux. Raymond, le moine sévère, pouvait en parler à son aise, il ignorait ce qu’est un cœur de mère ! Simplicissima Lapa, tu aimais tant ta petite Catherine, l’enfant de ton cœur, la dernière, celle que tu avais nourrie toi-même, le rayon de soleil de ton foyer, la gracieuse Euphrosyne, et tu ne comprenais pas pourquoi elle se maltraitait ainsi, et tu sanglotais, et t’arrachais les cheveux en voyant couler son sang, ton sang et le sang de Giacomo qui ruisselait des veines de Catherine et dont chaque précieuse goutte était une goutte de jeunesse, une goutte de vie, une goutte de bonheur qui, une fois répandue, ne pourrait jamais être reconquise ! O naïve et sensible Lapa ! Nous sentons comme toi, nous te comprenons, nous t’aimons pour ton grand cœur impétueux, ce cœur que tu as transmis à ta fille et qui la faisait si vaillante et si forte !…

Ni par la violence, ni par la douceur, Lapa n’avait pu avoir raison de Catherine ; elle essaya d’un troisième moyen, les distractions, et l’emmena à Vignone, station thermale très fréquentée, située dans la montagne au Sud de Sienne, au bord du fleuve Orcia. Ce fut en vain. Lapa rentra donc à Sienne ayant perdu sa cause, et Catherine dévoila pour la première fois, à sa mère, son intention de devenir Mantellata. Elle la tourmenta si bien que celle-ci promit d’aller trouver la Prieure des Mantellate et de lui soumettre ce projet. Cependant, Lapa revint fort satisfaite de cette visite ; la Prieure lui avait répondu que les Mantellate ne recevaient que des veuves et qu’une jeune fille de l’âge de Catherine ne pouvait être admise parmi elles.

Sur ces entrefaites, Catherine fut atteinte de la varicelle, particulièrement grave chez les jeunes filles de seize ans, et Lapa désolée s’installa jour et nuit au chevet de son enfant malade ; mais comme Catherine refusait toutes les douceurs qu’elle lui apportait, sa mère finit par s’écrier avec désespoir : « Hélas ! ne puis-je donc rien pour toi ? » Ce à quoi Catherine répondit avec finesse : « Si tu veux que je guérisse, aide-moi à devenir Mantellata ; autrement, je suis persuadée que saint